Docteur en science politique et chargé d’enseignement en rhétorique dans le master de communication de Sciences Po, Clément Viktorovitch intervient auprès du grand public pour inciter l’auditoire à écouter de manière informée les discours politiques, à la croisée du chercheur et du vulgarisateur.
L’enjeu central du discours politique demeure la persuasion de l’auditoire. Les discours se multiplient dans le but de faire adhérer un peuple à une cause. Dans cet environnement, Clément Viktorovitch décrypte les dessous de ces discours en soulignant la rhétorique qu’ils contiennent. Le principe de la rhétorique est simple : un orateur transmet à son auditoire un discours structuré dans le but de le faire adhérer à son propos. Mais cela induit une asymétrie du savoir entre les détenteurs de ce savoir, les orateurs, et ceux qui reçoivent ce discours sans en connaître les ressorts secrets, l’auditoire. Le rôle du décrypteur critique est de rétablir un certain équilibre grâce à ses interventions pédagogiques sur différents médias. Clément Viktorovitch évolue sur les réseaux sociaux avec des lives sur Twitch et plusieurs formats vidéo sur YouTube : des podcasts rhétoriques, des analyses plus courtes d’un fait d’actualité ou les « perles de la semaine ». Le public visé est élargi par la publication de trois livres et la création d’un seul en scène au théâtre.
Le langage utilisé par les politiques, comme par toute personne désirant convaincre son auditoire, repose sur trois dimensions : l’éthos, le pathos et le logos. L’éthos assoit la légitimité de l’orateur, le pathos fait appel aux sentiments de l’auditoire et le logos met en avant des arguments fondés sur la raison. Tout cela est développé dans le premier livre de Clément Viktorovitch, publié en 2021 et intitulé Le Pouvoir rhétorique : apprendre à convaincre et décrypter les discours. Cet ouvrage didactique permet de désacraliser une rhétorique qui n’est « ni innée, ni inexplicable », mais simplement codifiée et maîtrisée par une minorité de la population. La rhétorique devient accessible, et même praticable, par un public plus large que celui des grandes écoles. La force de cet ouvrage est d’utiliser le langage pour remettre en question le langage.
Clément Viktorovitch va plus loin. En 2023, il crée son premier seul en scène, ensuite adapté en roman. Cette pièce de théâtre intitulée L’art de ne pas dire propose une mise en abyme du pouvoir du langage. Le politologue y incarne un ancien conseiller présidentiel, trahi par son employeur, qui lui doit pourtant beaucoup. Face à cette ironie du sort, celui qui a fait d’un homme banal un président décide de se venger. Il organise une conférence où il s’attelle à démystifier ce président qui doit sa victoire à ses discours bien ficelés. La rhétorique en politique est ici clairement critiquée pour la manipulation qu’elle exerce à travers le langage sur le peuple. Ce personnage d’ex-conseiller résume l’enjeu de cette pièce en ces mots : « C’est en cela que nous nous sommes distingués de nos prédécesseurs. Eux cherchaient comment dire ce qu’ils allaient faire, tandis que ce que nous avons fait, nous ne l’avons jamais dit. » Le silence est tout aussi important et révélateur en rhétorique que la parole. Très interactif avec son public, Clément Viktorovitch nous confronte à une dissolution du « sens des mots », mais aussi à une dissolution du « fondement même de notre débat public ».
De 2016 à 2020, le Washington Post a recensé 30 573 mensonges ou paroles trompeuses prononcées par le président Donald Trump. Cette déformation de la vérité crée des dissensions dans la population et amplifie l’asymétrie du savoir : les uns adhèrent à cette « post-vérité » tandis que les autres se confortent dans leur opinion sur Trump. Le message du politologue est que langage et politique sont intimement liés. Il appartient à chacun de rester vigilant face aux paroles de tous.
En octobre 2025, le décrypteur politique publie son deuxième roman : Logocratie : Comment nous sommes déjà sortis de la démocratie. Son propos devient plus incisif avec l’introduction du concept de « logocratie », qu’il utilise dans sa dernière vidéo sur Sébastien Lecornu. Il définit ce concept comme le « moment où la parole officielle se décorrèle du réel ». L’idée est de donner une définition radicalement différente de ce que le peuple peut constater. Le mensonge et la déloyauté s’insèrent dans le discours politique, accentuant un climat d’instabilité déjà critique. Des faits d’actualité, comme la renomination de Sébastien Lecornu et ses prises de parole, sont analysés phrase par phrase. Le streameur, en mettant au jour les effets de style utilisés par les politiques, permet au public de prendre du recul sur les paroles prononcées et de rétablir un rapport lucide au langage et à la démocratie.
Pour Quintilien, la rhétorique est un ars bene dicendi : l’art de bien parler. Aristote ajoute à ce concept une visée persuasive. Cela met en lumière l’asymétrie du sens que Platon qualifie de manipulation. Le politologue, par son décryptage, lève cette manipulation tout en mobilisant les mêmes procédés rhétoriques, faisant donc aussi de la politique.
La rhétorique des décrypteurs politiques, dont fait partie Clément Viktorovitch, s’oppose ainsi habilement à la rhétorique corrompue des représentants politiques, à la différence près que les éléments argumentatifs du streameur ne jouent pas sur les ambiguïtés du langage mais ont une vocation révélatrice.
