Comment est née l’intimité dans la littérature, selon Alain Corbin ?

La littérature possède le pouvoir unique de sonder les désirs des femmes et des hommes d’autrefois. Elle devient ainsi un marqueur de l’intime à un instant donné de l’histoire humaine. Notre compréhension de la sexualité s’inscrit aujourd’hui dans un cadre hyper-contemporain, façonné par l’apparition de la sexologie dans les années 70 avec les travaux de Virginia Johnson et William Masters. Mais nos aînés percevaient-ils l’intimité de la même manière ? L’historien Alain Corbin s’est imposé comme une figure majeure de la sensibilité dans l’histoire, qu’il explore à travers les sens de l’odorat ou encore du toucher. Ses ouvrages, comme Le miasme et la jonquille (1982) et L’harmonie des plaisirs (2008), sont des références clés pour comprendre cette histoire du sensible.

L’historien nous accompagne donc à la découverte de l’histoire des sens, des émotions et de l’affectivité, avec ses variations sociales. Tout peut être source de recherche dans ce fragment de l’historiographie : documents officiels comme correspondances.

Car toutes les périodes de l’histoire n’ont pas mis à la même enseigne les sens de chacun, ni permis aux individus de ressentir et d’exprimer leurs sensibilités de la même manière. Il est alors utile de lire et de voyager à travers les siècles, à la rencontre de celles et ceux qui nous ont précédés, afin de saisir cette perception sensible des émotions.

Les premières traces de l’intime sont assimilées à des récits liés au repli sur soi et à l’intériorité, sous forme de dialogues religieux. À partir du XVIIe siècle, les classes sociales, en particulier bourgeoises, se séparent de cette écriture religieuse pour se tourner vers les correspondances intimes. C’est dans ce contexte que surgissent les premières manifestations d’une intériorité subjective, notamment chez les femmes qui découvrent leurs capacités littéraires, à l’image de Madame de Sévigné. Le romantisme favorise ensuite l’expression d’un intime sensoriel, avec le recours à la rêverie. Les sentiments deviennent une trame principale des romans de la fin du XVIIIe siècle. Au XXe siècle, l’exploration de soi s’enrichit de nouvelles subtilités psychologiques, mises en lumière dans l’essai féministe Une chambre à soi (1929) de Virginia Woolf. La littérature foisonne alors de récits valorisant les sentiments et le corps : c’est la naissance de l’individualisme sentimental. Alain Corbin analyse cette évolution comme une exploration des affects et du désir. Mais aussi comme l’ouverture d’un espace de trouble, où le secret, le plaisir et le silence introspectif se rejoignent. C’est le fruit d’un processus de conquête de soi.

L’intimité, dans son sens le plus personnel et profond, désigne ce que l’on réserve à soi ou que l’on partage avec quelques rares élus. Mais l’intimité est aussi source d’inspiration dans les récits et marqueur d’individualité affective. La littérature, en explorant ses multiples déclinaisons, nous laisse libres d’en façonner la signification.

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