Comment expliquer l’inaction de l’État face aux infractions massives de l’industrie des eaux minérales ?

Derrière l’image d’une eau pure, une fraude d’ampleur. Pendant des décennies, Nestlé a vendu une eau prétendument « minérale naturelle » (Perrier, Vittel, Contrex, Hépar) alors qu’elle était traitée, filtrée, désinfectée, en violation de la loi. Selon la DGCCRF, le préjudice s’élève à au moins 3 milliards d’euros. La fraude a été couverte par des silences bien placés, jusque dans les cabinets ministériels. Une mécanique bien rodée : pressions politiques, chantage à l’emploi, modifications de rapports sanitaires, inertie des autorités. Résultat, une eau vendue à prix d’or, en toute impunité. Un rapport parlementaire l’affirme : “L’État a délibérément dissimulé la fraude à grande échelle de Nestlé”. L’entreprise a reconnu les faits et versé 2 millions d’euros pour éviter un procès.

Une eau d’exception, née d’une source protégée, naturellement pure et embouteillée sans traitement : voilà ce que promet l’étiquette. Voilà aussi ce que paie le consommateur (de 100 à 400 fois plus que l’eau du robinet). Mais depuis janvier 2024, les révélations s’enchaînent. Une enquête du Monde et de Radio France révèle que près d’un tiers des eaux conditionnées en France ont en réalité été désinfectées, filtrées ou même partiellement mélangées à de l’eau du réseau. Nestlé est au cœur de ce scandale. Le géant suisse a reconnu avoir utilisé, pendant plus de quinze ans, des procédés expressément interdits par la loi : injection de sulfate de fer, microfiltrations, adjonctions de CO₂ industriel… Autant de manipulations qui disqualifient une eau du statut de “minérale naturelle” et qui sont réservées aux “eaux de source”.

Ce qui indigne encore davantage, c’est le rôle joué par certains services de l’État. Une commission d’enquête sénatoriale présidée par L.Burgoa (LR) et dont A.Ouizille (PS) est le rapporteur l’a mis au jour : des rapports d’agences régionales de santé ont été censurés ou modifiés à la demande directe du groupe Nestlé, avec l’aval du ministère de la Santé. Exemple frappant : un rapport de l’ARS Occitanie qui pointait la présence de pesticides et de bactéries fécales dans l’eau Perrier a été édulcoré avant publication. Plus grave encore : l’Élysée était informé dès 2022, mais n’a rien fait. Le secrétaire général de l’Elysée, A.Kohler, aurait été briefé lors d’une rencontre avec le PDG de Nestlé. Convoqué par les sénateurs, il a refusé de s’expliquer au nom du principe de “séparation des pouvoirs”.


Pourquoi une telle inertie ? Parce que Nestlé, dans certaines zones rurales, est un employeur clé. Parce que l’eau en bouteille, c’est un marché florissant. Parce que l’économie, par moment, écrase le droit. Le rapport du Sénat pointe aussi les limites des contrôles sanitaires, souvent prévisibles, rarement efficaces. Pour restaurer la confiance, les sénateurs formulent 28 propositions : surveillance renforcée, transparence accrue, fin de l’ambiguïté sur les eaux aromatisées et surtout, mention claire de tout traitement sur l’étiquette.

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