Comment la filière viticole européenne s’adapte-t-elle aux chocs économiques, climatiques et géopolitiques auxquels elle fait face ?

Le vin français et européen, symbole culturel et secteur exportateur non négligeable, fait face depuis les années 2010 à une crise multiforme, victime du dérèglement climatique, du recul de la consommation mondiale et, plus récemment, des tensions douanières avec les États-Unis.

En 2024, la consommation mondiale de vin a baissé de 3,3% par rapport à 2023, et selon les perspectives agricoles de l’UE pour 2024-2035, elle devrait diminuer de 1% chaque année. Du côté de l’offre, la production mondiale de vin a chuté sous l’effet combiné des aléas climatiques et de l’arrachage de vignes, atteignant son plus bas niveau depuis 1961. Cette crise concerne l’ensemble des pays producteurs de vin mais frappe plus sévèrement les producteurs européens et français, en raison d’une baisse prononcée de la clientèle européenne et d’une concurrence accrue des producteurs latino-américains, australiens, chinois et américains. Pour surmonter la crise qu’elle traverse, la filière viticole européenne n’a d’autre choix que de se réinventer.

Le dérèglement climatique constitue le premier défi majeur pour les vignobles européens. Sécheresses et stress hydrique l’été, pluies abondantes et inondations dans certaines régions productrices, les effets concrets du dérèglement climatique perturbent le cycle habituel de récolte et de production. En 2024, la production de vin dans l’UE a ainsi reculé à 139 millions d’hectolitres, soit une baisse de 3% par rapport à 2023 et le plus faible volume de production enregistré depuis le début du XXIe siècle pour l’UE. La hausse des températures explique des vendanges précoces : avancées de 15 jours en 26 ans à Saint-Émilion et dans les Côtes du Rhône, et de 26 jours en Alsace. Vendanger plus tôt en septembre, sous des chaleurs encore intenses, pose des problèmes de vinification, peut altérer la qualité du vin et pousse certains vignerons à récolter la nuit. Pour faire face à ces bouleversements, les vignerons innovent : viticulture de précision assistée par l’IA, adoption de pratiques agroécologiques visant à préserver la qualité des sols, et sélection de cépages plus résistants.  

Le vin européen fait également face à une contraction de la demande sur les marchés européens, ses principaux débouchés, qui résulte de modifications dans les habitudes de consommation. Bien que la France reste le deuxième consommateur mondial de vin, les Français en boivent 8% de moins qu’il y a cinq ans et 28% de moins qu’il y a vingt ans. Cette baisse est particulièrement marquée chez les jeunes qui se détournent largement du vin au profit d’autres boissons alcoolisées, bières et cocktails notamment, mais aussi par une baisse générale de la consommation d’alcool chez les jeunes. Près d’un jeune Français de 18 à 24 ans sur deux déclare ne jamais boire de vin, contre 37% pour l’ensemble de la population. En parallèle, la concurrence s’intensifie sur les marchés extra-européens. Les États-Unis encouragent la consommation de vins nationaux, notamment californiens, via des campagnes comme « buy American wine ». La Chine ambitionne également de devenir un producteur majeur de vin, voyant dans cette boisson un outil de distinction sociale pour la classe moyenne montante et un levier dans la compétition culturelle avec l’Occident. S’ajoutent à ces difficultés les nouveaux droits de douane états-uniens de 15% sur les vins européens actés à l’été 2025. Selon la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux, ces nouveaux droits de douane pourraient réduire d’un quart les ventes françaises vers les États-Unis, soit une perte d’un milliard d’euros.

Pour soutenir sa filière viticole face à la concurrence, la Politique agricole commune (PAC) finance la modernisation du secteur et sa transition écologique. Le programme 2023-2027, doté de 386 milliards d’euros au profit des six millions d’agriculteurs et viticulteurs européens, prévoit notamment une aide de 4 500 € par an pendant cinq ans pour les jeunes repreneurs de vignobles et une aide de 350 € par hectare pour la conversion au bio.

Pour prévenir les excédents et stabiliser les marchés, l’UE autorise les États membres à prendre des mesures comme l’arrachage des vignes excédentaires ou la vendange en vert, c’est-à-dire l’élimination des raisins non mûrs pour en réduire le nombre mais en améliorer la qualité. Les États membres sont divisés : la France consacre 120 millions d’euros à l’arrachage de vignes excédentaires pour stabiliser le marché, alors que l’Italie refuse cette option pour préserver son patrimoine viticole, mais accentuant de fait les déséquilibres entre production et débouchés. L’UE mise enfin sur la qualité de son vin pour se démarquer, en imposant des normes strictes et en protégeant les indications géographiques protégées (IGP) et les appellations d’origine protégée (AOP) afin de garantir la qualité du vin et de le protéger de la contrefaçon. Elle soutient aussi l’œnotourisme pour diversifier les revenus des vignerons, valoriser le savoir-faire local et rapprocher producteurs et consommateurs. Rien qu’en France en 2023, 12 millions de visiteurs ont parcouru les vignobles et caves.

Tout l’enjeu pour la filière viticole européenne est de trouver un équilibre entre maintenir la qualité et l’identité des vins tout en adaptant les cépages aux contraintes climatiques ou aux évolutions des modes de consommation. 

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