Comment la France se prépare-t-elle à la guerre des drones ?

Pour rester une force de premier plan et « gagner la guerre avant la guerre », selon la formule employée par le général Burkhard, ancien chef d’état-major des armées, les armées françaises poursuivent et accélèrent leur dronisation. Pas moins de cinq milliards d’euros sont consacrés à cet objectif dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030.

L’armée française n’a pas attendu la guerre en Ukraine pour miser sur les drones. Les premiers apparaissent dans l’armée de l’Air en 2008, lorsque les Harfang sont admis au service actif. Deux ans plus tard, cette même armée crée une unité dédiée, l’escadron de drones 1/33 Belfort. À l’époque, le marché des drones militaires est dominé par des acteurs américains, chinois, turcs et israéliens. Pour épaissir ses capacités, la France achète donc à partir de 2013 plusieurs drones MQ-9 Reaper américains, utilisés au Sahel et basés à Niamey. Faute de solution européenne souveraine, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne lancent en 2015 le programme Eurodrone avec le soutien de l’Agence européenne de défense, pour fournir un drone de reconnaissance volant à moyenne altitude et de grande autonomie aux armées de l’air européennes.

Dans les années 2010, la France – comme la plupart des États occidentaux – s’engage surtout dans des opérations de contre-insurrection ou de guerre asymétrique, opposant une armée conventionnelle à des groupes paramilitaires. Ces opérations ont souvent lieu dans des environnements extrêmes, désertiques et/ou montagneux (Afghanistan, Mali, Niger, etc.), où l’accès en véhicule, voire à pied, peut se révéler impossible. Les drones de type MALE (Moyenne Altitude, Longue Endurance), comme le Harfang, le MQ 9 ou encore l’Eurodrone apportent alors un avantage décisif. Ils permettent de surveiller des secteurs sur de longues durées et de fournir un appui aérien aux troupes déployées au sol comparable à celui d’un avion de chasse, tout en étant beaucoup plus économique. Pensés pour la guerre asymétrique, les drones MALE montrent cependant leurs limites face à un conflit de haute intensité. L’exemple du Bayraktar TB-2 est frappant : utilisé intensément par l’armée ukrainienne au début de l’invasion russe, il est devenu quasi inefficace avec la multiplication des systèmes de défense sol-air sur la ligne de front et les progrès russes en matière de guerre électronique.

Cette évolution oblige à une révision doctrinale. Le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, affirme utiliser les drones pour inculquer « l’esprit pionnier » à tous les échelons, afin de garantir une force terrestre à la pointe de la technologie. Selon lui, il s’agit d’encourager l’innovation à la fois « par le bas et par le haut », notamment via des structures comme le Commandement du Combat du Futur (CCF), créé en 2023 pour anticiper les futures ruptures technologiques. Le retour d’expérience ukrainien souligne d’ailleurs la pertinence des drones pour le combat terrestre en haute intensité. Pour s’y préparer, des Centres d’Entraînement Tactique Drone (CETD) voient le jour au sein des brigades pour former les soldats à l’utilisation des drones FPV (First Person View). En 2025, le 1er Régiment d’Infanterie de Marine (1er RIMa) a transformé l’un de ses escadrons de chars en un escadron de drone de chasse. Ce dernier a été testé avec succès contre une unité américaine dans le cadre de l’exercice OTAN Hedgehog 25 en Estonie, validant la pertinence du concept.

Tandis que l’armée française renforce ses capacités offensives en matière de drones, la défense sol-air doit elle aussi s’adapter. Avec l’opération Spiderweb, les Ukrainiens ont mis en évidence la vulnérabilité des bases aériennes russes face à un essaim de drones. Pour répondre à cette nouvelle menace, Thales et KNDS France – deux industriels français – ont dévoilé en juin 2025, une version terrestre du canon RapidFire, initialement pensé pour la défense rapprochée des navires de la Marine nationale. Jusqu’ici, la défense sol-air française courte-portée reposait surtout sur des missiles (Crotale ou Mistral), coûtant chacun plus de 100 000 euros. Le RapidFire, lui, tire des munitions télescopées beaucoup moins chères. L’idée est de rendre l’armée capable de tenir dans une guerre d’attrition, où l’usure économique compte autant que la puissance de feu. En parallèle, l’armée de Terre développe une solution basée sur un canon de 20 mm, associé à un système de conduite de tir appuyé par l’intelligence artificielle.

La guerre des drones évolue à une vitesse phénoménale. En Ukraine, les deux camps utilisent déjà massivement des drones en fibre optique pour contourner les dispositifs de brouillage. Les programmes lancés il y a plusieurs années, comme l’Eurodrone, semblent désormais dépassés : leurs caractéristiques techniques ne correspondent plus aux réalités du combat de haute intensité. Même constat pour le drone tactique Patroller, commandé à Safran pour l’armée de Terre en 2016, et désormais menacé d’abandon. Comme le résume un officier de la Section Technique de l’armée de Terre (STAT), cité par le magazine Intelligence Online, « le Patroller agit comme une antenne volante : il émet en continu des signaux qui le rendent facilement repérable par l’ennemi. Dans un environnement comme celui du Donbass, saturé de moyens de brouillage, d’interception et de drones intercepteurs hostiles, il serait détecté et abattu en quelques minutes ».

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