Cette politique d’investissement prend forme à travers la mobilisation conjointe d’acteurs publics et privés et l’octroi de soutiens financiers permettant au Maroc de tisser des liens économiques solides avec ses partenaires africains. Qu’il s’agisse de corridors d’exportation, de réseaux bancaires ou encore de chaînes de valeur agricoles, ces initiatives créent une interdépendance durable à l’échelle du continent.
Parmi les leviers majeurs de la stratégie marocaine figure le renforcement de la coopération internationale, matérialisé par la signature d’une multitude d’accords bilatéraux et multilatéraux dans des secteurs clés. Cette dynamique permet au Maroc de consolider son attractivité auprès des investisseurs étrangers tout en affirmant un rôle moteur sur le continent. Depuis le début des années 2000, Rabat a conclu plus de 1 000 accords de coopération avec ses partenaires africains, couvrant aussi bien l’agriculture que l’énergie, le commerce ou les infrastructures stratégiques. L’objectif est double : réaffirmer ses engagements en faveur du développement multilatéral et ériger la coopération Sud-Sud en pilier de sa politique extérieure.
Cette orientation s’est traduite par des initiatives concrètes : financement d’un Trust Fund de coopération Sud-Sud avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture pour exporter son expertise agricole et former des cadres locaux, ou encore lancement d’une plateforme portuaire sur la côte atlantique du Sahara afin d’offrir aux pays sahéliens enclavés (Mali, Niger, Burkina Faso) un accès stratégique aux marchés internationaux. Ce projet contribue à renforcer l’intégration régionale et la souveraineté du Royaume sur ses provinces du Sud, en ligne avec le soutien international croissant au plan d’autonomie marocain pour le Sahara. À cette dynamique s’ajoute le mégaprojet de gazoduc Maroc-Nigéria, destiné à relier l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest jusqu’au Maroc, avec une double finalité : sécuriser l’approvisionnement énergétique national et positionner le Royaume comme corridor stratégique entre l’Afrique et l’Europe pour l’exportation du gaz naturel et des énergies propres.
Le secteur privé, quant à lui, s’impose comme le véritable bras armé de la diplomatie économique du Royaume. Loin du simple cadre commercial, c’est une présence stratégique que les groupes marocains assoient sur la majorité du continent africain, renforçant ainsi le poids régional du pays. Parmi eux, OCP Africa se distingue : filiale du groupe OCP, acteur industriel et leader mondial des phosphates, de leur extraction et de la production d’engrais, elle est présente dans 18 pays et touche 400 000 fermiers via son programme School Lab, tout en enregistrant des hausses de rendement. À titre d’exemple, l’Éthiopie a pu augmenter son taux de rendement de 37 % grâce à des engrais personnalisés.
Grâce à la puissance de son système financier, le secteur bancaire marocain constitue un autre pilier de cette projection régionale. Les groupes Attijariwafa Bank et BMCE Bank of Africa se sont imposés comme des acteurs de poids, structurant les grands équilibres économiques africains. En soutenant aussi bien les PME locales que des projets d’infrastructures prometteurs, à l’image du financement immobilier et du soutien au logement assurés par Wafa Immobilier, filiale d’Attijariwafa, ils endossent la fonction de bailleurs régionaux, inscrivant l’action bancaire marocaine dans une logique d’appui au développement. C’est précisément dans cette dynamique que s’inscrit l’alliance entre Attijariwafa Bank et la Société financière internationale (IFC) dans le but de soutenir les entreprises et de stimuler l’investissement et le commerce transfrontalier en Afrique.
Placée dans un ordre de crypto-hiérarchie internationale tel que décrit par Carlos Escudé, politologue argentin qui distingue les pays dominants qui imposent les règles, les pays périphériques qui s’y adaptent pour en tirer profit et les pays rebelles qui les refusent, et consciente de sa position périphérique relative, la stratégie marocaine s’apparente à une lecture du réalisme périphérique en relations internationales, choisissant la voie diplomatique et l’ancrage économique plutôt qu’une posture de défi.
Rabat ne cherche pas à défier frontalement les puissances établies dans une quête de pouvoir perdue d’avance, mais à convertir ses atouts économiques en leviers d’influence régionale. Sa politique étrangère mise ainsi sur une approche utilitariste, visant avant tout une autonomie relative.
Dans cette logique, les champions nationaux, qu’il s’agisse du géant phosphatier, des groupes bancaires ou des opérateurs de télécommunications, fonctionnent comme de véritables « instruments d’État ». Ils structurent des interdépendances commerciales, financières et infrastructurelles avec leurs homologues africains, ce qui confère au Maroc une capacité d’attraction et un pouvoir de négociation sans recours à la force. Cette diplomatie économique illustre parfaitement l’application pragmatique du réalisme périphérique : un pays de la « périphérie » qui, en capitalisant sur ses ressources stratégiques, parvient à transformer sa présence économique en gains politiques et diplomatiques tangibles, et à s’affirmer comme un acteur visionnaire et moderne dont l’influence régionale ne cesse de croître.