Comment le rôle de la critique cinématographique a-t-il évolué ?

Dans les années 1950, le critique et théoricien du cinéma André Bazin, fondateur des Cahiers du Cinéma, disait de la critique cinématographique qu’elle était nécessaire, mais peu influente sur le succès des films, car réservée à un cercle restreint d’initiés. Aujourd’hui, elle s’est démocratisée et a investi le numérique, permettant ainsi aux amateurs de s’exprimer. Moins experte, la critique devient virale, communautaire et performative, valorisant l’identité cinéphile plus que le jugement sur l’œuvre. Ce nouveau mode d’expression peut désormais contribuer au succès de certains films à budget restreint, qui bénéficient d’un engouement inattendu sur les plateformes de critique en ligne.

En 1958, dans Réflexions sur la critique, André Bazin évoque l’importance de la critique dans la reconnaissance artistique du cinéma, mais aussi paradoxalement son inutilité. Il estime que, bien qu’essentielle, elle n’influence pas le succès des œuvres. Cela s’explique par le type de critique dominante à l’époque : intellectuelle, spécialisée, rédigée par des professionnels du cinéma et destinée à un public initié, donc restreint. Son impact commercial est de ce fait  limité, bien qu’elle reste perçue comme qualitative grâce à l’expertise de ses auteurs.

Aujourd’hui, la critique s’est démocratisée et déplacée vers le numérique. Blogs, podcasts, puis réseaux sociaux comme Letterboxd ont permis à des amateurs de s’approprier cet espace, autrefois réservé aux experts. En s’émancipant des médias traditionnels, l’expertise des rédacteurs se raréfie, mais la critique acquiert une nouvelle influence. Elle réactive même une forme de cinéphilie proche de celle à l’origine des Cahiers du Cinéma à la fin des années 1950. À l’époque, cette passion se vivait via les ciné-clubs ou les revues spécialisées ; aujourd’hui, elle se prolonge dans l’espace digital.

Les réseaux sociaux démocratisent la cinéphilie, la rendent plus accessible: une application suffit. En élargissant la communauté cinéphile, les plateformes comme Letterboxd permettent à des films au budget modeste de bénéficier d’un engouement inattendu en profitant du système de viralité du réseau social. C’est par exemple le cas de Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (2019), qui doit en partie son succès international à l’enthousiasme suscité sur Letterboxd, où il figure aujourd’hui à la 40e place des films favoris des utilisateurs. Par son caractère viral, la critique digitale peut donc  influencer le succès commercial d’une œuvre.

Les réseaux sociaux à l’image de Letterboxd confèrent également à la critique un rôle nouveau : il ne s’agit plus seulement d’informer ou d’analyser, mais d’exprimer sa cinéphilie, de se revendiquer comme cinéphile au sein d’un groupe. Le mode réseau social rend ce statut désirable, en réponse à un besoin d’appartenance et d’imitation sociale. Critiquer un film ne relève plus nécessairement d’un acte analytique, mais devient une mise en scène de soi en tant que cinéphile, un moyen d’affirmer son identité culturelle. Ainsi, l’arrivée du digital contribue à faire évoluer le rôle et la portée de la critique. Cette dernière vise moins le film que le public, et cherche avant tout à s’adresser à une communauté plutôt qu’à juger une œuvre.

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