Comment le sport est-il utilisé comme outil d’influence diplomatique sur la scène internationale ?

« Il ne faut pas politiser le sport. » C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a tenté de balayer la polémique autour de l’organisation de la Coupe du monde de football au Qatar en 2022. L’utilisation des concepts de « géopolitique du sport » et de « diplomatie sportive » s’impose de plus en plus dans les relations internationales.

Au-delà d’être un simple outil de soft power, le sport est devenu un instrument de rapprochement des puissances, mais aussi d’exacerbation des tensions géopolitiques. Les sponsors, nouveaux acteurs privés, pèsent désormais sur l’organisation et les décisions des grandes compétitions, tandis que les institutions sportives se retrouvent sous pression politique face à des logiques dépassant le cadre purement sportif.

Le sport, vecteur reconnu de soft power, permet à une puissance économique et politique de diffuser son image à l’échelle mondiale. Les États-Unis illustrent cette stratégie avec la NBA, dont l’influence dépasse le cadre sportif, notamment en Chine. Depuis dix ans, les États du Golfe, comme le Qatar et l’Arabie saoudite, ont fait du sport un pilier de leur stratégie nationale et internationale. Appuyés sur des fonds souverains colossaux issus de leurs ressources gazières et pétrolières, ils investissent massivement dans les compétitions, clubs et infrastructures. Cette politique vise à consolider leur prestige et leur légitimité sur la scène intérieure. Elle s’inscrit aussi dans une vision de long terme : préparer l’après-pétrole en diversifiant leur influence et leurs partenariats à travers le sport. Cette exposition comporte toutefois des risques : une image perçue comme manipulée ou contraire aux valeurs universelles du sport peut se retourner contre son promoteur. Les critiques envers le Qatar lors de la Coupe du monde de football, accusé de violations des droits humains et d’un manque de transparence, en sont un exemple marquant. Dans ce contexte, des ONG comme Amnesty International ou Carbon Market investissent le champ sportif pour dénoncer l’absence de soutenabilité, le non-respect des minorités ou les atteintes aux droits humains lors de grands événements.

La diplomatie sportive, consistant à utiliser consciemment le sport comme outil de rapprochement entre nations, s’est affirmée dans les années 1970. L’épisode fondateur reste la « diplomatie du ping-pong » entre les États-Unis et la Chine, amorcée par la visite du président Nixon à Pékin en 1971. Depuis, d’autres disciplines, du football au hockey, ont été mobilisées pour renouer le dialogue entre États en froid. Les rencontres s’inscrivent dans un protocole officiel et peuvent ouvrir la voie à des avancées diplomatiques. Dans les années 1980, l’organisation de compétitions de cricket entre l’Inde et le Pakistan a permis de nouer et d’apaiser les relations entre les deux nations ennemies. Les compétitions sportives entre États peuvent aussi devenir le terrain d’expression des tensions politiques. Les matchs de cricket entre l’Inde et le Pakistan déclenchent encore aujourd’hui une véritable frénésie nationaliste. En février 2025, la finale de la Confrontation des quatre nations de hockey entre les États-Unis et le Canada a été marquée par des huées lors des hymnes, dans un contexte tendu après les déclarations controversées de Donald Trump sur le Canada.

Au-delà des rivalités nationales et sportives, le sport est devenu un outil de sanction et de pression politique. En 2022, le site des Jeux olympiques d’hiver a fait l’objet d’une vague de boycotts diplomatiques de la part de pays comme les États-Unis, l’Australie et la Grande-Bretagne, en raison des allégations d’atrocités commises par la Chine à l’encontre de la communauté ouïgoure. Aux Jeux olympiques de Paris 2024, la Russie et la Biélorussie ont été exclues, seuls les athlètes « neutres » étant autorisés à participer. Des appels à appliquer des sanctions similaires à Israël ont été émis, mais le Comité International Olympique a rejeté la comparaison, estimant les situations différentes.

La politisation du sport ne se limite plus à la compétence des États : les institutions sportives, comme la FIFA ou l’UEFA, doivent composer avec des pressions multiples. La reconnaissance d’une équipe palestinienne par la FIFA, malgré le débat sur l’existence même de l’État palestinien, illustre ce rôle politique. En 2022, l’UEFA et la FIFA ont suspendu toutes les équipes russes après l’invasion de l’Ukraine. En 2023, la décision de réintégrer les sélections russes U17 a provoqué le boycott des compétitions par l’Ukraine.

À mesure que l’industrie sportive croît, les sponsors et diffuseurs (ex. Qatar Airways) disposent d’un poids économique et politique de plus en plus important. L’attribution controversée de la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite illustre l’influence déterminante des sponsors et partenaires économiques dans les décisions sportives internationales. En signant plus de 900 accords de sponsoring et de partenariat dès 2024, le royaume a mobilisé des ressources financières massives pour soutenir sa candidature, impliquant fédérations, clubs et instances dirigeantes. Cette stratégie, portée par des acteurs comme Aramco, montre qu’un État disposant d’un réseau économique puissant peut façonner l’agenda et les choix des institutions sportives par l’intermédiaire des sponsors. En octobre 2024, plus de 100 footballeuses professionnelles ont adressé une lettre ouverte à la FIFA pour demander la fin de l’accord de sponsoring avec Aramco, dénonçant les violations des droits humains et la discrimination à l’égard des femmes en Arabie saoudite.

Le sport est devenu un moyen reconnu d’action diplomatique. Il permet aux États de valoriser leur image, de développer des partenariats et de faire passer des messages politiques. Le sport contemporain est devenu un espace stratégique, amplificateur des rapports de force économiques mondiaux. Pour Raoul Delcorde, ambassadeur honoraire de Belgique et politologue, le sport est un véritable « thermomètre des relations internationales ».

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