Comment les Émirats Arabes Unis utilisent les courses de dromadaires comme instrument diplomatique ?

Tradition du monde arabe, la course de dromadaires a désormais trouvé un sponsor majeur : les Émirats arabes unis (EAU). Égérie du patrimoine bédouin, l’émirat a considérablement investi dans tous les champs des courses de camélidés, de la rénovation et construction des stades au développement d’écuries.

Devenu un véritable levier d’influence, ce sport est utilisé à tous les niveaux par l’État de la péninsule arabique pour en tirer des bénéfices géopolitiques, économiques, voire civilisationnels, renforçant ainsi sa diplomatie à travers toute l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Les courses de dromadaires sont utilisées principalement comme un outil diplomatique en développant le soft power de la pétromonarchie. 

Abu Dhabi construit des stades dans des pays où il souhaite renforcer ses liens et y finance des courses et des prix. L’émirat s’attire ainsi la ferveur populaire guidée par le pain et les jeux, mais profite surtout de l’occasion pour organiser des rencontres diplomatiques à la fin d’un chantier, de réunions ou de championnats. En 2020, le dirigeant égyptien Abdel Fattah al-Sissi a rencontré Mohammed bin Zayed Al Nahyan, MBZ, lors du festival de course de dromadaires à Sharm El-Sheikh, à un moment où les Frères musulmans étaient l’ennemi commun des deux dirigeants. Plus important encore pour les EAU, la course de dromadaires constitue aussi un levier vis-à-vis des pays considérés comme les “greniers” du pays. En construisant des complexes et des installations dédiés à la chamellerie au Soudan, le gouvernement de MBZ renforce ses relations avec un pays où l’émirat possède 400 000 hectares de terres arables et qui est l’un des principaux exportateurs de dromadaires. Ces investissements et relations commerciales ont toutefois été ternis par le soutien non assumé des EAU aux rebelles des Forces de soutien rapide dans la guerre civile soudanaise, dénoncé par le gouvernement central. Ce soutien financier et militaire s’explique en grande partie par les relations d’affaires entre le chef de la milice des FSR, Mohamed Hamdan Dogolo, et le pouvoir émirati.

Les courses de dromadaires représentent aussi un outil de diversification économique et scientifique pour préparer l’après-pétrole dans le Golfe arabique. Investissement stable dans un sport pratiqué depuis des siècles, elles constituent une manne financière en accord avec les pratiques religieuses musulmanes. Le “sport des cheikhs” bénéficie d’une aura prestigieuse qui permet à la famille royale d’y placer ses propres économies. Le cheikh MBZ dispose lui-même de montures qui participent aux courses les plus prestigieuses et suivies dans le monde musulman. Jugées moins risquées que les projets immobiliers qui ont failli conduire le Qatar à la ruine en 2009, et plus durables que les ressources pétrolières, les courses de dromadaires constituent aussi un terrain d’innovation pour la robotisation, renforçant leur respectabilité et leur éthique. Les enfants-jockeys, qui suscitaient scandales et dénonciations d’associations humanitaires en raison du trafic d’enfants lié aux courses, ont été remplacés par des robots. Depuis le début des années 2000, des sociétés spécialisées en robotique ont vu le jour afin de produire ces machines, aujourd’hui fabriquées directement au Qatar et aux Émirats. Une entreprise émiratie fournit désormais 90 % des robots utilisés dans les courses locales. Depuis 2005, la pratique des enfants-jockeys est proscrite aux EAU, ce qui a contribué à améliorer leur image.

Pour le régime autoritaire de MBZ, les courses de dromadaires sont également un vecteur de stabilité et d’unification du pays. Véritable pan de l’économie, elles permettent à toutes les strates de la société de se rencontrer presque d’égal à égal. Les bédouins du désert élèvent les dromadaires que les hommes d’affaires de Dubaï achètent à prix d’or, environ 90 000 € pour les meilleures montures, afin de remporter des courses de renom. Devenu symbole royal, le marché des dromadaires assure le ruissellement de la manne pétrolière d’Abu Dhabi vers les tribus marginalisées du désert. Cette mise en valeur nationale de la communauté bédouine permet aux EAU de promouvoir une culture commune dans les pays maghrébins et arabiques où ces communautés sont présentes, et surtout de compter sur elles comme relais de la diplomatie émiratie. Servant de pont entre cultures maghrébines et arabiques, le patrimoine bédouin permet aux EAU de s’ériger en gardiens des traditions arabes face à la modernisation et à la mondialisation. Cette mise en avant a permis de renforcer les liens culturels avec d’autres pays arabes, notamment l’Arabie saoudite, et de valoriser ces traditions auprès des institutions internationales, telles que l’UNESCO, qui a inscrit en 2017 les courses de dromadaires sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

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