Comment l’IA prend-elle la forme de pratiques néo-coloniales en Afrique ?

L’intelligence artificielle et les infrastructures numériques façonnent une nouvelle forme de domination en Afrique. Plusieurs multinationales, notamment américaines comme les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et chinoises telles que BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), y déploient des projets technologiques, souvent sous couvert de connectivité ou de développement. En 2024, l’Afrique ne concentre que 1 % des centres de données mondiaux pour 17 % de la population. Résultat : la majorité des données africaines est hébergée hors du continent, échappant à tout contrôle local. Ce déséquilibre soulève des enjeux majeurs de souveraineté numérique, de sécurité, et de dépendance technologique.

Depuis plus d’une décennie, le développement du numérique en Afrique est largement soutenu par des acteurs étrangers. Des programmes tels que Free Basics (Meta), Project Loon (Google) ou les Smart Cities déployées par Huawei ont été présentés comme des solutions à la fracture numérique. Pourtant, selon l’UNCTAD (La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement ), ces projets s’inscrivent dans une logique de centralisation des flux de données et d’infrastructures hors du continent. En 2023, l’Afrique comptait moins de 80 centres de données contre plus de 5 300 en Amérique du Nord. Cela sous-entend que 85 % des données africaines transitent par des serveurs situés hors de juridiction locale.

Ce schéma crée une dépendance structurelle. Les entreprises locales doivent souvent passer par des opérateurs étrangers pour accéder à leurs propres données. D’après la Commission économique pour l’Afrique, cette situation génère une fuite de valeur estimée à plusieurs milliards de dollars par an. À cela s’ajoute une faible capacité de régulation : seuls 23 pays africains disposent d’une loi sur la protection des données personnelles, et les cadres de cybersécurité restent embryonnaires.

Le phénomène prend aussi une dimension politique. En 2018, l’affaire Cambridge Analytica a révélé l’utilisation de données personnelles pour influencer les élections au Kenya et au Nigeria. Parallèlement, plusieurs pays utilisent désormais des outils de reconnaissance faciale fournis par Huawei, dont l’architecture rappelle le modèle chinois de surveillance sociale. Ce contrôle algorithmique s’impose ainsi sans toujours passer par des institutions démocratiques.

À l’échelle globale, l’Afrique devient un terrain d’expérimentation pour des technologies encore peu testées ailleurs.  L’IFC (Société financière internationale) injecte 100 millions USD dans le groupe Raxio (le principal opérateur de centres de données neutres en Afrique) pour construire des data centers en Éthiopie, Angola, Côte d’Ivoire, Mozambique, RDC, et en Ouganda. L’absence de règles claires, combinée à un besoin criant d’investissement, en fait un espace stratégique pour les géants du numérique. L’intelligence artificielle, dans ce contexte, agit moins comme un outil neutre que comme un vecteur d’influence géopolitique.

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