Le choc de 2024-2025 autour du riz agit comme un révélateur brutal d’une faille systémique dans l’architecture alimentaire japonaise. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le Japon a bâti une politique rizicole fondée sur l’autosuffisance encadrée, avec quotas, subventions et contrôle strict des surfaces cultivées. Cependant, cette politique a produit l’effet inverse de ses intentions : le nombre d’agriculteurs a chuté de plus de 70 % depuis les années 1960 et la production de riz est passée de 14 millions de tonnes dans les années 1960 à moins de 7,9 millions aujourd’hui. Cette crise est exacerbée par la néolibéralisation des politiques agricoles depuis les années 1980, qui a favorisé l’entrée des multinationales au détriment des exploitations familiales, affaiblissant davantage le secteur.
Depuis des décennies, le gouvernement pilote, main dans la main avec les lobbys agricoles, une politique de réduction des surfaces rizicoles. L’objectif : ajuster l’offre à une consommation intérieure en déclin constant, conséquence directe d’une démographie en chute libre ; près de 800 000 habitants de moins chaque année. Le pays a donc préféré subventionner massivement la baisse de la production nationale de riz et la mise en jachère des cultures, plutôt que de miser sur l’exportation de ses surplus. Une manière d’assurer des revenus stables et élevés à une population agricole vieillissante, mais surtout de préserver un électorat stratégique pour les législatives. C’est là un secret de Polichinelle dans les cercles politiques nippons : le riz n’est pas qu’un produit alimentaire, il est aussi un outil électoral.
Mais cette politique révèle ses limites face aux chocs. La réduction des stocks publics pour alléger les charges de l’État a affaibli la réactivité nationale. En 2024, des pluies exceptionnelles, couplées à un rebond de la demande touristique, pourtant marginale à 0,5%, ont suffi à déséquilibrer l’offre. Les chaînes de supermarchés ont aggravé la crise en vendant le riz à prix cassé pendant des années, installant une norme artificiellement basse. Cette distorsion a fragilisé les producteurs, dont beaucoup, incapables de couvrir leurs coûts, ont quitté le secteur.