Après l’assassinat de Moïse et la démission du Premier ministre Ariel Henry, le pays est passé sous le contrôle d’un conseil présidentiel de transition soutenu par les États-Unis. Ces derniers cherchent à stabiliser Haïti tant pour des raisons de sécurité régionale que pour protéger leurs intérêts politiques. Depuis août 2025, ils promeuvent, au sein de l’ONU et de l’Organisation des États américains (OEA), la mise en place d’une force multinationale chargée de réprimer les gangs.
La situation actuelle trouve ses racines dans les interventions passées en Haïti. En 1915, après l’assassinat du président haïtien Vilbrun Guillaume Sam, le président américain Wilson ordonne l’occupation d’Haïti par la marine, officiellement pour restaurer la stabilité, mais aussi pour contrer l’influence allemande dans la région. Cette intervention entraîne de lourdes conséquences : dès 1914, Washington avait déjà saisi 500 000 dollars de la Banque nationale d’Haïti, assurant son contrôle sur l’économie du pays. L’occupation impose en outre un système ségrégationniste et réprime violemment les soulèvements populaires. En 1994, Clinton lance l’opération Uphold Democracy, cette fois à la suite du coup d’État mené par le lieutenant-général Raoul Cédras. L’objectif est de restaurer la démocratie en intervenant militairement pour remettre Jean-Baptiste Aristide au pouvoir. Aristide accepte certaines conditions américaines : intégrer la Banque mondiale et un programme d’ajustement structurel du Fonds monétaire international. La Banque mondiale conditionne son aide à Haïti à des réformes libérales, comme l’ouverture du marché et la privatisation de neuf entreprises publiques. Pour le chercheur Philippe Girard, de la McNeese State University, cette situation politique a découragé les investisseurs étrangers et miné le développement économique. C’est dans ce contexte mouvant que les gangs se forment et instaurent progressivement des liens de domination.
Dès les années 1950, la dictature des Duvalier s’appuie sur les Tontons Macoutes — près de 30 000 hommes dans les années 1970 — pour réprimer l’opposition. Ces milices, liées aux élites, s’autonomisent et financent leur pouvoir par l’extorsion et le contrôle territorial, tout en restant instrumentalisées par les régimes successifs. Face à cette problématique, le Conseil de sécurité de l’ONU déploie en 2004 la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), forte de près de 9 000 Casques bleus au plus fort de son mandat, avec pour objectif de soutenir le gouvernement et de rétablir l’ordre. Malgré certains succès institutionnels, la mission, critiquée pour des bavures et l’introduction du choléra, peine à réduire durablement l’insécurité. Elle prend fin en 2017, remplacée par une mission plus réduite (MINUJUSTH), chargée d’appuyer le système judiciaire et de promouvoir les droits humains.
Dès 2021, alors que les gangs contrôlent une partie croissante de Port-au-Prince, la communauté internationale tente de renforcer sa présence, sans parvenir à enrayer leur expansion. En 2023, le Conseil de sécurité de l’ONU vote une résolution qui autorise la création d’une Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) pilotée par le Kenya, pour une durée d’un an. Cette force n’est pas onusienne ; elle ne peut que soutenir les effectifs de police haïtiens. Cette résolution a été soutenue par les autorités américaines, mais les représentants de la Chine et de la Russie se sont abstenus, soulignant notamment que le texte empiéterait sur la souveraineté nationale haïtienne. Le Conseil de sécurité affirme répondre à l’appel du gouvernement haïtien lui-même. La MMAS, reconduite pour une année supplémentaire jusqu’en octobre 2025, souffre de nombreuses difficultés sur le terrain, notamment un volume de personnel très réduit par rapport à celui attendu.
Les orientations données par l’administration américaine, surtout à partir du second mandat de Trump, marquent l’évolution des missions en Haïti. Sous la bannière America First, Washington a opéré d’importantes coupes dans les programmes humanitaires mondiaux, touchant notamment l’USAID, agence américaine présente en Haïti depuis près de 50 ans. Dans la continuité de cette logique sécuritaire, deux alliances criminelles haïtiennes, Viv Ansanm et Gran Grif, ont été classées comme groupes terroristes par le secrétaire d’État américain Marco Rubio en mai 2025. Si les intentions exactes de cette désignation demeurent floues, Jake Johnston, chercheur au Center for Economic and Policy Research, estime que « cela pourrait fonctionner comme un embargo de facto », en décourageant tout commerce avec Haïti sous peine de sanctions américaines.
Depuis août 2025, les États-Unis, avec l’appui du Panama, cherchent à convaincre le Conseil de sécurité de l’ONU et l’OEA de mettre sur pied une Force de répression des gangs (FGR) pour remplacer la MMAS. La FGR disposerait d’un mandat élargi et d’une autonomie supérieure à celle de la police haïtienne. Les pays d’Amérique latine restent silencieux face à cette initiative ; certains dirigeants, tels que Luiz Inácio Lula da Silva (Brésil) et Gustavo Petro (Colombie), se montrent réticents à soutenir une nouvelle intervention dirigée par Washington dans la région. La création d’une telle force armée soulève de nombreuses interrogations, car elle privilégie une réponse militaire plutôt que le traitement des causes structurelles de la crise. Comme le rappellent les chercheurs américains Christopher Shell et Zuri Linetsky, une approche durable doit aussi passer par le blocage du trafic d’armes en provenance des États-Unis et par le renforcement de programmes d’aide humanitaire destinés à soutenir la population haïtienne.