L'enjeu

Aujourd’hui le populisme est présent dans tout l’échiquier politique. Ses représentants véhiculent le rejet des élites et la défiance envers les institutions. Entre dénonciation et généralisation, discerner le vrai du faux devient essentiel pour ne pas sombrer dans la démagogie.

L'intervenant

Christian Le Bart, professeur de science politique à l’IEP de Rennes et co-directeur de la collection « Res Publica » aux Presses universitaires de Rennes (PUR). Auparavant, il a assuré la direction du CRAPE entre 2006 et 2010 et a dirigé la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne jusqu’en 2015.

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De la voix du peuple à l’incarnation exclusive : les risques du populisme

Le populisme menace-t-il la stabilité politique ou revivifie-t-il la démocratie ?

Phénomène politique aujourd’hui incontournable, le populisme de droite comme de gauche suscite à la fois fascination et inquiétude, en alimentant la défiance envers les élites et les institutions, tout en cherchant à incarner la voix authentique du peuple. Sa rhétorique mobilisatrice interroge : le populisme signale-t-il une forte contestation populaire ? Peut-il également amener une force politique à remodeler durablement nos démocraties, voire les détruire ?

Comment définissez-vous le populisme ? Ses caractéristiques principales et singulières dans le contexte des démocraties contemporaines ? 

Utilisé de manière péjorative et critique dans la plupart des démocraties occidentales, le mot « populisme » qualifie certains mouvements politiques même si certains retournent la stigmatisation en faisant un élément positif.

Qu'est-ce qui le caractérise ?

Les leaders populistes prétendent non seulement représenter le peuple, mais surtout l’incarner en s’exprimant en son nom sur fond de crise de la démocratie représentative. Ils affirment que le système démocratique classique a échoué parce qu’il a mis au pouvoir une classe politique nantie de privilèges et donc déconnectée des réalités. 

Pourquoi le populisme vise-t-il une classe privilégiée ? 

On observe la dénonciation d’une classe politique dite inutile, bavarde, privilégiée et même quelquefois corrompue. Cette critique s’élargit parfois aux élites sociales, y compris les élites économiques, médiatiques, scientifiques et académiques. 

On parle plus généralement d’une critique de toutes les formes institutionnalisées et des représentations politiques, comme celle du Parlement et des corps intermédiaires, soit les élus locaux, les syndicats et les partis politiques. Tous ceux qui veulent parler à la place du peuple, tous ceux qui veulent représenter le peuple. 

Une fois cette critique générale faite, que reste-t-il ? 

Il reste la dimension quasi religieuse d’incarnation, comme celle du péronisme en Argentine. Peu importe qu’il soit très riche, peu importe qu’il n’ait aucun attribut sociologique qui fasse de lui quelqu’un de représentatif, le populiste incarne le peuple sur un autre terrain : celui des émotions.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux intensifient cette incarnation et cette communication directe avec le peuple sans passer par les corps intermédiaires ou les médias institutionnels.

Populisme et polarisation démocratique

Dans quelle mesure le populisme favorise-t-il la polarisation et fragilise-t-il le dialogue démocratique ? 

Il facilite la polarisation sur la base d’une opposition entre le haut et le bas de la société, c’est-à-dire entre les élites privilégiées qui mentent et le peuple, le vrai. Cette opposition-là est supposée être beaucoup plus décisive que l’opposition droite-gauche par exemple, qui n’a plus aucun sens.

Que reste-t-il du clivage traditionnel gauche-droite ? 

Dans la rhétorique populiste, le concept de nation emprunté à la droite a souvent des connotations xénophobes, voire racistes. Ce qui est inspiré de la gauche, c’est la valorisation des classes populaires avec l’idée de redistribution des richesses. 

Cette logique tend à freiner le débat démocratique, en discréditant d’emblée les « professionnels de la politique ». Elle se méfie du pluralisme et du débat d’idées et favorise émotions tout en réduisant l’adversaire à ses privilèges plutôt qu’à ses arguments concrets.

Lorsqu'un leader populiste affirme parler au nom du peuple, manifeste-t-il une véritable expression démocratique ou manipule-t-il les émotions collectives à des fins de pouvoir ? 

Ce qui est problématique du point de vue de l’idéal démocratique, c’est la prétention à incarner de manière exclusive. Le débat politique est alors en quelque sorte biaisé, puisque la légitimité est a priori accordée aux uns et pas aux autres.

Le débat ne se fonde plus sur les arguments, mais sur une légitimité de principe, comme celle d’un professionnel de la politique qui cumule les mandats depuis 30 ans. Il gagne bien sa vie, il a forcément tort. Et moi qui ne suis rien de tout ça, j’ai forcément raison, puisque je viens de la société civile. Je vais parler de ma vie, manipuler les émotions collectives et prétendre représenter le peuple. 

Reste-t-il une possibilité de débat ?

La discussion démocratique devrait se faire sur la base des arguments et non sur celle des positions de ceux qui prennent la parole. Il est certes légitime de pointer la faible représentativité sociologique des gouvernants, mais cela n’autorise pas l’interdiction de toute prétention à gouverner.

Une vague mondiale aux effets contrastés

Le populisme est-il forcément nocif pour la démocratie ou peut-il paradoxalement contribuer à la revitaliser en redonnant la voix aux citoyens face à des élites jugées déconnectées ? 

On observe actuellement une vague populiste dans différents pays tels que les États-Unis, l’Italie, et même en Espagne et en France où elle n’a pas atteint le pouvoir. Cette vague s’explique principalement par l’incapacité de la classe politique professionnelle à prendre en charge un certain nombre de questions telles que le changement climatique, les inégalités, l’économie. Cette incurie alimente son rejet.

Comme le fossé s’est creusé avec les victimes de la mondialisation, la rhétorique populiste peut alors fonctionner comme appel au secours, comme symptôme et comme sonnette d’alarme.

Le populisme est-il utile à la démocratie ? 

Je pense qu’il est pertinent que la démocratie représentative soit en permanence soumise à un questionnement critique. Il est bon de souligner le manque d’ouvriers, d’employés, de personnes racisées, de femmes à l’Assemblée nationale, de dénoncer en fait les biais de représentation. 

Ensuite, si ça entraîne une correction du système, c’est très bien, mais si ça débouche sur une généralisation populiste encourageant la critique de tous les représentants et toutes les institutions du pouvoir, ça devient problématique pour la démocratie.

Menace ou opportunité pour la démocratie ?

Alors, peut-on limiter les excès du populisme tout en respectant les revendications citoyennes qu'il exprime ? Et comment le faire ? 

Une piste possible est de manipuler la critique populiste avec précaution, d’éviter radicalement le discours généralisant du type « tous dans le même sac » en englobant tous les membres de la classe politique, notamment par des arguments parfois démagogiques sur leur patrimoine.

Il est normal, cela dit, qu’en démocratie les élus soient particulièrement regardés, surveillés parce qu’ils représentent la République. On attend davantage d’eux que des citoyens ordinaires. Si la vigilance critique est alors indispensable, elle ne doit pas tourner au procès systématique.

Le problème majeur vient-il donc des critiques généralisantes ?

En effet. Le problème, c’est la critique sans nuances de la classe politique, des professionnels de la politique, des élites en général. Toutes ces catégories englobantes qui, sociologiquement, n’ont actuellement aucun sens.

En cherchant à lisser son discours pour paraître plus crédible, est-ce qu’un mouvement populiste ne prend pas surtout le risque de décevoir son noyau d’électeurs ?

Ce qui fait la fortune du populisme, c’est le discours à « l’emporte-pièce » comme la désignation d’un bouc émissaire de toutes leurs erreurs politiques. Dire par exemple que les Français sont responsables de la dette n’a absolument aucun sens, alors que c’est la classe politique qui l’est. 

Si la dynamique populiste continue à s'amplifier dans les 20 ou 30 prochaines années, à quoi ressembleront nos démocraties ? Assisterons-nous à un renouveau démocratique ou à un basculement autoritaire ? 

Cette dynamique se répand partout. Elle a même atteint le macronisme lorsque ce mouvement a prétendu dépasser le clivage droite-gauche par une dénonciation généralisante de la classe politique classique.  

Si la vague populiste déferlant sur les États-Unis, une partie de l’Amérique latine, la Turquie, la Hongrie, l’Italie… poursuit son extension, le risque est évidemment que les démocraties représentatives classiques deviennent réellement minoritaires.

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