Cette baisse de la croissance démographique est-elle réellement préoccupante et quelles en sont les conséquences économiques ?
Il y a un paradoxe : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et donc dans les années 1950-1960, on s’inquiétait de la croissance démographique excessive (le baby-boom). Même si la France a connu auparavant une baisse plus importante que ses voisins, cette croissance a produit une vague d’optimisme, on se disait que c’était une bonne chose. Mais le reste du monde s’est demandé comment nos sociétés pourraient supporter une telle croissance démographique positive, aussi longtemps. Et le paradoxe est que depuis deux ou trois décennies, la problématique s’est inversée. On s’inquiète maintenant d’une décroissance démographique. Finalement, ce qui était considéré comme une mauvaise chose il y a 50 ans, est aujourd’hui considéré comme une bonne chose.
Alors pourquoi y a-t-il moins d’enfants par femme ?
On donne plus d’importance aux enfants. Ils font l’objet d’un investissement beaucoup plus grand. Parce qu’en termes d’éducation, les parents ont beaucoup plus de moyens d’investir dans leur enfant, pour leur donner plus de chance de réussir. S’il y avait beaucoup d’enfants dans les années 1960-1960, une croissance durable n’aurait pas été tenable. On peut supposer que beaucoup de gens auraient été laissés pour compte. Il y aurait eu aussi de plus gros problèmes de couverture de santé, d’éducation et aussi des logements. Donc c’est un paradoxe de dire qu’en Europe, il n’y a pas assez de croissance démographique alors que cette réalité explique en partie, notre relative richesse par rapport au reste du monde, sans nier les inégalités à l’intérieur de l’Europe.
L’IMMIGRATION POUR COMBLER LE DÉFICIT
Face au vieillissement de la population, est-ce que l'immigration est la seule solution ?
Ce n’est évidemment pas la seule solution. Il y en a une, « économique », qui est de redistribuer les richesses plus équitablement. Quand on parle de système de retraite et de santé, on parle de la majorité des gens qui vivent de leur travail et de leurs pensions. Par contre, il y a une partie de la population qui ne vit pas de son salaire à proprement parler, mais de son patrimoine et de sa richesse accumulée. Mais la tendance s’inverse sur les dernières décennies. On veut que les gens investissent et constituent un patrimoine. C’est un problème parce qu’évidemment, il va falloir de plus en plus compter à l’avenir sur le patrimoine, et notamment sur l’héritage. C’est-à-dire que les personnes qui auront hérité, seront avantagées par rapport à celles qui ne peuvent compter dessus, ni sur un investissement parce que trop pauvres pour le faire. Donc ce n’est pas l’immigration qui va compenser l’effondrement du système des retraites.
Mais peut-elle résoudre un problème d’inégalité ?
Non. Mais elle peut aider à maintenir un système de répartition. On sait que sur leur vie entière, les immigrants contribuent davantage dans le pays d’accueil que la moyenne des gens déjà sur place. Ils cotisent beaucoup plus alors qu’ils n’ont pas coûté autant que les autres, car tout le travail d’éducation jusqu’à leurs diplômes, ils les ont effectués dans leur pays d’origine. Mais il ne faut pas se leurrer, quand on parle de vieillissement et d’immigration, c’est surtout un réel problème d’inégalité.
Peut-on affirmer que l'immigration est une politique assumée pour contrer le déclin de la démographie européenne ?
Non. Vous ne serez jamais élu avec un discours pro-immigration. Alors qu’au lendemain des deux guerres mondiales, l’Europe était dans un état lamentable, il y avait un besoin urgent de la reconstruire. Il manquait de main d’œuvre. Dans les années 1920-1930, il y a eu par exemple une vague d’immigration polonaise, italienne, espagnole, mais aussi flamande très importante en Wallonie. Mais au fil des années, ces immigrants n’ont plus voulu travailler dans les mines, à l’usine, etc. Donc l’Europe a fait venir d’autres immigrants grâce à des programmes d’incitation. Les entreprises allaient les chercher jusqu’au Maroc, en Algérie… donc plutôt en Afrique. C’était bien souvent un discours trompeur parce que beaucoup d’immigrants se sont retrouvés dans des situations d’exploitation vraiment abusives, et on leur a promis des choses qu’ils n’ont jamais eues. Par exemple, en Asie, le Japon commence à envisager un recours à l’immigration, bien que l’opinion publique soit réfractaire, même envers ses propres concitoyens lorsqu’ils ont vécu trop longtemps à l’étranger. Pourtant ils font face à une baisse démographique relativement importante par rapport à l’Europe. C’est devenu ingérable. Alors le gouvernement japonais fait notamment appel à beaucoup de Philippins. Mais ce sont des contrats courts, de cinq ans par exemple. Et ça crée un roulement régulier sans une immigration permanente.
PLUSIEURS IDÉES POUR UN MÊME RÉSULTAT
Quels pays ont adopté des politiques efficaces pour lutter contre la baisse de natalité ?
Aucune politique n’a été efficace pour lutter contre la baisse de natalité. Les quelques exemples ont toujours été extrêmement temporaires, avec des effets à très court terme. On a vu que dans certains pays, l’augmentation de certaines aides aux familles ou aux femmes seules, a fait remonter la fécondité. Mais souvent, elle baisse à nouveau. C’est-à-dire qu’il y a un effet « d’aubaine ». Les couples qui avaient, de toute façon, l’intention d’avoir des enfants se sont dit que c’était le moment de profiter de cette politique qui ne serait peut-être pas maintenue. Mais une fois l’enfant né, ils n’en ont pas fait plusieurs à la suite donc c’est très limité. Évidemment, les gouvernements qui ont mis en place ce genre de mesures font aussi une campagne de communication sur les familles nombreuses et montrent comment elles ont été utiles, comme en Pologne ou en Hongrie, des pays qui sont représentés par des gouvernements pronatalistes. Mais on voit bien que sur le long terme, ça ne fonctionne pas. Et même s’il y a des aides, les personnes qui ne veulent pas d’enfant n’en feront pas.
Quels ont été les résultats ?
La grande différence, c’est quand les systèmes d’aide aux familles tiennent compte pour les femmes, de la compatibilité entre travail et famille. Dans les pays d’Europe du Sud, il n’y a pas de système de compensation, il y a très peu d’allocations familiales, très peu de crèches. Donc tout coûte très cher et les employeurs sont beaucoup plus réticents à employer des femmes avec enfants. On s’attend à ce que la femme elle-même ou les grands-parents s’occupent des enfants. Ça vient d’une conception patriarcale. Mais il y a aussi l’Allemagne, qui en apparence pourrait se payer le luxe de « s’occuper des femmes et de leurs enfants ». Il pourrait y avoir un système d’allocations familiales, de crèche et de compatibilité travail-famille. Mais pas du tout et là-bas, c’est absolument normal pour une femme. Il est attendu que lorsqu’elle a un enfant, elle s’arrête de travailler pendant deux ou trois ans. Il y a très peu de crèches qui acceptent des enfants à partir de l’âge de six mois. Donc c’est plus difficile pour les femmes d’en avoir plusieurs car il n’y a pas autant d’aides qu’en France, par exemple. Il y a aussi des aides en Suède ou plus largement dans les pays scandinaves où les États sont vraiment beaucoup plus soutenants. Il y a une égalité des genres qui est beaucoup plus importante. Pourtant on peut également observer une baisse de la fécondité durable et prolongée, notamment à cause d’un certain individualisme qui s’est instauré, la réalisation personnelle comptant alors davantage que la réalisation d’un idéal familial.
La croissance démographique pourrait connaître un nouveau rebond ?
Étant donné ce que la baisse démographique nous a apporté comme bénéfices, – économiser nos ressources pour investir dans la santé et dans l’éducation mais aussi dans le bien-être (plus de loisirs) tout comme dans la réalisation d’objectifs de développement personnel -, il serait difficile de les maintenir avec beaucoup d’enfants. Je doute que les gens décident alors d’en mettre davantage au monde. Il y a aussi la question écologique qui se pose de plus en plus. Pendant longtemps on a dit qu’on ne pourrait jamais vivre avec quatre milliards de personnes, puis six milliards et huit milliards maintenant. Mais on sait que la population mondiale va se stabiliser autour de 10 milliards, puis diminuer. On va sûrement commencer à observer cette diminution autour de 2080-2100. Et on ne peut pas parler de répartition démographique, à cause du réchauffement climatique par exemple. Car les populations pauvres ne pourront pas déménager sur un autre continent, puisqu’elles n’en auront pas les moyens. Ce discours est erroné.