Alors que la crise s’enlise, le Mali dépose une requête à l’encontre de l’Algérie auprès de la Cour internationale de Justice (CIJ). Pourtant, bien que le droit international soit invoqué pour résoudre ce litige, le manque de coopération entre les deux pays et l’attitude hostile de la junte militaire au pouvoir au Mali à l’égard de la CIJ montrent déjà les limites de l’action du droit international dans la résolution de ce contentieux.
Détruit près de la ville frontalière de Tin Zaouatine, dans la région de Kidal, l’appareil effectuait sa mission, selon les autorités maliennes, tout en restant dans l’espace aérien malien. Pour Bamako, il s’agit d’un acte d’agression prémédité. Cette version est démentie par les forces armées algériennes, qui affirment que l’aéronef, armé de missiles air-sol et de bombes, a transgressé l’espace aérien du pays et poursuivi sa route malgré son interception. Alger précise qu’il s’agit de la troisième incursion malienne au sein de son espace aérien depuis 2024. Se rejetant mutuellement la faute, la crise monte rapidement d’un cran. Les deux pays se ferment mutuellement leurs espaces aériens et les ambassadeurs malien, nigérien et burkinabé sont rappelés d’Alger, qui décide de prendre des mesures réciproques en réponse. Les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), formée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso, expriment leur solidarité avec Bamako. Dans un communiqué lu à la télévision nationale malienne, ils considèrent qu’ils ont eux aussi été agressés par la destruction du drone. Cette crise bilatérale se transforme alors en une crise régionale, inquiétant les autres pays africains et notamment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ainsi que, plus largement, l’Union africaine.
Cet incident intervient à un endroit et à un moment extrêmement sensibles. Depuis le désengagement des troupes françaises (Barkhane) en 2022 et des troupes onusiennes (MINUSMA) en 2023, comme souhaité par la junte au pouvoir, un mouvement indépendantiste a ressurgi dans le nord du Mali. Formé par la fusion de plusieurs groupes rebelles, il est considéré comme terroriste par le gouvernement malien et ses alliés russe et nigérien. Ce mouvement, le Front de libération de l’Azawad (FLA), s’est reformé en novembre 2024 à Tin Zaouatine et a décidé de rompre le cessez-le-feu issu de l’accord de paix d’Alger, auquel la junte malienne avait déjà mis fin en janvier 2024. La fin de cet accord réactive ainsi un vieux conflit intra-étatique. Négocié en 2015 sous la médiation de l’Algérie, cet accord avait mis un terme à trois ans de guerre civile déclenchée par la rébellion touarègue dans l’Azawad en 2012. Le Mali considère aujourd’hui que l’Algérie est responsable du retour en force du FLA. La destruction de ce drone à proximité d’une région contrôlée par le mouvement met donc le feu aux poudres dans une relation déjà tendue par la présence de groupes armés à leur frontière commune.
À l’initiative de la saisine de la CIJ, le Mali estime avoir subi une agression de la part de son voisin, que la junte au pouvoir considère déjà comme s’ingérant dans un conflit interne au Mali en soutenant les mouvements terroristes du Nord comme le FLA. Un tel recours au droit international est vu comme une opportunité de médiation et de résolution pacifique du conflit, alors que la CIJ elle-même estime, dans un rapport datant de 2024, que le droit international est de plus en plus contesté à travers le monde. Une contestation remarquée tant sur les questions de droit de la guerre ou de droit humanitaire en Ukraine que sur les questions de prolifération nucléaire autour du globe. Pourtant, ce retour du droit international n’est que bref, car la CIJ se heurte à plusieurs difficultés majeures. La plus importante est relative aux principes mêmes du Statut de Rome, texte fondateur de la Cour internationale de Justice. Signé en 1998, il précise que la Cour ne peut être compétente pour statuer sur un contentieux que si sa compétence est reconnue par toutes les parties. Or, le gouvernement algérien et son ministère des Affaires étrangères ont fait savoir, dans leur communiqué à la CIJ répondant à la saisine de Bamako, qu’ils n’acceptaient pas la procédure, considérée comme une “instrumentalisation du droit international”.
Un autre élément fragilise ce retour du droit international comme moyen de médiation et de résolution du conflit : le retrait du Mali de la CIJ. Car si Bamako a déposé un recours devant l’instance, le pays a annoncé vouloir s’en retirer trois jours après que la Cour a annoncé la réception de sa demande. Ce retrait s’est fait dans le cadre d’une décision conjointe avec les autres membres de l’Alliance des États du Sahel lors d’un sommet extraordinaire à Niamey en septembre 2025. Ceux-ci considèrent que la CIJ n’a pas été efficace pour lutter contre les crimes de guerre sur leurs territoires et qu’elle constitue “un élément de répression néocoloniale”. Pourtant, l’ONG Human Rights Watch note que ces trois pays, sous gouvernements militaires, sont eux-mêmes à l’origine de plusieurs transgressions du droit international, notamment du droit de la guerre, par de violentes opérations de contre-insurrection menées en détenant, tuant illégalement et déplaçant de manière forcée des dizaines de milliers de civils. L’AES, dans un souci de répondre à ces inquiétudes, a annoncé, en même temps que leur retrait de la CIJ en septembre 2025, vouloir se doter d’un “mécanisme endogène” pour consolider la paix et la justice sur leurs territoires. Est alors entérinée la création d’une Cour pénale sahélienne et des droits humains (CPS-DH), pensée lors de plusieurs réunions des ministres de la Justice des États de l’AES depuis fin mai 2025.
Pour autant, après avoir notifié le secrétaire général des Nations unies de leur volonté de se retirer du Statut de Rome, la décision ne sera entérinée qu’un an après, conformément à l’article 127 du traité. Le Mali reste donc lié à ses obligations envers la Cour pendant cette année charnière, mais une fois son retrait acté, il y aura un vide juridique partiel. Si l’Algérie reconnaît finalement la compétence de la Cour et que celle-ci publie ses conclusions, le Mali ne sera pas formellement tenu de les respecter. De ce fait, le droit international se voit remis sur le devant de la scène pour résoudre un contentieux interétatique, mais est en réalité instrumentalisé dans le même temps. Il s’en retrouve non pas renforcé, mais encore plus contesté et affaibli.