L’Afghanistan, carrefour des ambitions jihadistes aux portes de l’Europe

L’Afghanistan est-il en train de devenir le nouvel épicentre du jihad mondial ?

L’Afghanistan, carrefour des ambitions jihadistes aux portes de l’Europe

L’Afghanistan est-il en train de devenir le nouvel épicentre du jihad mondial ?

Alors que l'Afghanistan tente de se réinventer sur la scène internationale, un ennemi intérieur et extérieur émerge des ruines de décennies de guerre : l'Etat islamique au Khorasan (EI-K). À la croisée des chemins entre ambitions talibanes, influences étrangères et propagande jihadiste, ce territoire devient le théâtre d’un nouveau chapitre du terrorisme global.

Depuis son retour au pouvoir en 2021, le régime taliban peine à stabiliser un Afghanistan confronté à des défis multidimensionnels. Tandis que les dirigeants tentent de redorer leur image auprès de la communauté internationale, une menace grandissante met en péril ces efforts : l’Etat islamique au Khorasan. Branche régionale de l’Etat islamique (EI), l’EI-K s’impose comme un acteur stratégique et létal, étendant son influence bien au-delà des frontières afghanes. Si les tensions entre Talibans et l’EI-K étaient d’abord contenues sur le territoire national, des attaques récentes montrent une capacité de projection internationale inquiétante.

Événement et explicationChiffres clés
2001 : L’Afghanistan devient la cible de l’intervention occidentale après les attentats du 11 septembre.~20 ans de guerre en Afghanistan, un coût estimé à 2 313 milliards $ pour les États-Unis.
2021 : Retour des Talibans au pouvoir, marquant la fin de l’occupation étrangère.Plus de 5 000 prisonniers jihadistes libérés, dont des membres de l’EI-K.
2022 : Lancement du magazine propagandiste Voice of Khorasan par l’ISKP.Aucun chiffre publié à ce jour sur sa diffusion, mais une montée en puissance notable dans les pays cibles européens.
Janvier 2024 : Attentat à Kerman, Iran, revendiqué par l’ISKP.84 morts, bilan parmi les plus lourds revendiqués par la branche afghane de l’EI.
Mars 2024 : Attentat à Moscou (Crocus City Hall), frappant la Russie.143 morts, attaque symbolisant la capacité d’expansion internationale de l’EI-K.
26 juillet 2024 : Arrestation de trois Tchétchènes en Belgique, liés à l’ISKP.Aucun chiffre spécifique sur les fonds collectés, mais plusieurs opérations transfrontalières détectées en 2024.

Les Talibans se retrouvent face à un double défi. D’un côté, ils doivent contrer l’ambition expansionniste de l’EI-K, qui les accuse de trahison pour avoir négocié avec les puissances occidentales à Doha. D’un autre côté, leur gestion ambiguë des prisonniers jihadistes, libérés à leur arrivée au pouvoir, les expose aux critiques internationales. En janvier 2024, l’attentat de Kerman a mis en lumière la capacité de l’ISKP à frapper en dehors de ses zones traditionnelles. Puis, l’attaque de Moscou en mars, ayant causé 143 morts, a renforcé l’urgence pour les États d’Europe centrale et orientale.

La dimension européenne de la menace est également préoccupante. En juillet 2024, les autorités belges ont déjoué un complot impliquant des Tchétchènes, alors que deux Russes étaient arrêtés en Allemagne pour financement terroriste en faveur de l’ISKP. Ces événements soulignent le rôle croissant de la diaspora dans le soutien logistique au jihad mondial.

L’ISKP a transformé l’Afghanistan en une plateforme stratégique, lui permettant de viser des cibles bien au-delà de l’Asie centrale. Cette expansion est facilitée par une propagande numérique sophistiquée et un réseau de financement international.

Les États membres de l’Union européenne, déjà éprouvés par des vagues successives de menaces terroristes, sont contraints de repenser leurs stratégies sécuritaires. La proximité géographique avec la Turquie, où transitent armes et recrues pour l’ISKP, amplifie le défi. Si certains gouvernements envisagent des sanctions ou des opérations militaires ciblées, d’autres plaident pour un renforcement des contrôles migratoires et une coordination accrue des renseignements.

Depuis la chute du régime pro-occidental en août 2021, l’Afghanistan a vu s’installer une dynamique instable, où les Talibans tentent de consolider leur pouvoir tout en repoussant les offensives de l’État islamique au Khorasan. Pourtant, malgré leur rhétorique anti-EI, les Talibans ont laissé se développer un écosystème propice au jihadisme international. La libération massive de prisonniers, notamment des combattants de l’ISKP, dès leur arrivée au pouvoir, a permis à l’organisation de se régénérer.

Dans l’ombre du Pakistan et de la Turquie

L’ISKP s’est rapidement réorganisé en profitant de la faiblesse structurelle du gouvernement afghan. Selon les experts, la branche afghane de Daesh aurait renforcé sa présence dans les provinces du Nangarhar et de Kunar, à la frontière avec le Pakistan. Ces zones montagneuses et difficilement accessibles leur offrent une base idéale pour entraîner de nouveaux combattants et planifier des attaques. Leur montée en puissance s’explique aussi par une stratégie de recrutement intensifiée, notamment grâce au magazine Voice of Khorasan, qui diffuse une propagande virulente à l’international.

Le Pakistan joue un rôle clé dans cette dynamique. Historiquement, ce pays a entretenu des relations ambiguës avec les groupes jihadistes, y compris les Talibans afghans. Islamabad a longtemps toléré leur présence sur son territoire tout en menant, sous pression occidentale, des opérations militaires contre certaines factions. Aujourd’hui, l’ISKP constitue une menace directe pour le Pakistan, notamment après une série d’attentats sur son sol. Malgré cela, les soupçons d’un soutien indirect à certaines factions jihadistes persistent, Islamabad étant accusé de fermer les yeux sur des flux financiers transitant par ses frontières.

La position géographique de l’Afghanistan, entre l’Asie centrale, l’Iran et le Pakistan, lui confère une importance stratégique dans l’expansion du jihadisme international.

La Turquie, quant à elle, représente un autre point névralgique. Située aux portes de l’Europe, elle est une plaque tournante du passage des combattants jihadistes, comme cela a été le cas lors des conflits en Syrie et en Irak. Ankara, qui entretient des relations complexes avec les Talibans, pourrait être confronté à une infiltration croissante de l’ISKP sur son territoire. La proximité géographique et la porosité des frontières facilitent le transit des fonds et des recrues vers l’Afghanistan.

Un sanctuaire jihadiste aux portes de l’Europe

Face à cette résurgence de l’ISKP, les puissances occidentales se retrouvent à un carrefour stratégique. Deux décennies après l’intervention militaire en Afghanistan, les États-Unis et leurs alliés hésitent sur la conduite à adopter. Une nouvelle opération militaire d’envergure semble exclue, mais plusieurs options sont envisagées :

  • Renforcement des frappes ciblées : Depuis 2021, Washington a mené plusieurs raids aériens contre des figures de l’ISKP, mais leur efficacité reste limitée face à la capacité de régénération du groupe.
  • Pression diplomatique sur les Talibans : Les États-Unis et l’Union européenne cherchent à conditionner toute reconnaissance officielle du régime taliban à une lutte effective contre l’ISKP. Cependant, la confiance envers le gouvernement afghan est quasi inexistante.
  • Renforcement des capacités des pays voisins : L’Occident envisage d’intensifier son soutien aux pays frontaliers comme l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, afin d’endiguer l’expansion jihadiste.

Le cas afghan illustre un paradoxe : malgré l’échec manifeste de la guerre menée contre le terrorisme, le retrait occidental a permis l’émergence d’une menace jihadiste encore plus radicale. L’ISKP, bien que plus fragmenté qu’Al-Qaïda à son apogée, possède une capacité opérationnelle redoutable et une stratégie de propagande bien huilée.

Crédit photo : Roshan Salih ShutterStock

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