Au Niger, la junte justifie son action par la lutte contre l’insécurité et la corruption, mais surtout par un rejet croissant de l’influence française, perçue comme néocoloniale par une partie de la population et des élites locales. Dès les premiers jours, des manifestants brandissent des drapeaux russes et scandent des slogans anti-français, symbolisant un basculement géopolitique.
Le Sahel, bande semi-aride s’étendant de l’Atlantique à la Corne de l’Afrique et foyer des pays cités, est depuis des années un foyer d’instabilité. Cette région, riche en ressources naturelles mais fragilisée par des États faibles, des conflits intercommunautaires et une pression terroriste croissante, est devenue un enjeu géopolitique majeur. Depuis 2012, le Mali, le Burkina Faso et le Niger figurent parmi les 10 pays les plus touchés par le terrorisme au monde, selon l’Indice mondial du terrorisme 2024. Les coups d’État successifs depuis 2020 ont aggravé cette instabilité, remettant en cause l’ordre régional et les alliances historiques, notamment avec la France.
Avant le putsch, le Niger abritait 1 500 soldats français, dernier bastion d’une présence militaire qui s’étendait autrefois sur toute la région dans le cadre de l’opération Barkhane. Lancée en 2014 pour lutter contre les groupes djihadistes, cette opération a mobilisé jusqu’à 5 100 militaires, des drones, des avions de chasse et des véhicules blindés. Malgré des succès tactiques, son bilan global reste mitigé : le terrorisme n’a pas été éradiqué, et la région est restée instable. En 2022, la France a commencé à se retirer du Mali et du Burkina Faso, avant que le Niger ne devienne son dernier point d’appui.
Dès le coup d’État, la junte exige le départ des troupes françaises, dénonce les accords de défense et expulse l’ambassadeur français. En septembre 2023, Emmanuel Macron acte le retrait total des forces d’ici la fin de l’année, marquant la fin d’une présence militaire continue au Sahel. Ce retrait est perçu comme un échec stratégique, d’autant que les putschistes nigériens se tournent immédiatement vers la Russie et la Turquie, comblant le vide laissé par la France.
La junte nigérienne se rapproche de l’Alliance des États du Sahel (AES), créée en septembre 2023 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Cette alliance, soutenue par la Russie et la Turquie, vise à affirmer une indépendance face aux influences occidentales. Les manifestants pro-junte brandissent des drapeaux russes, tandis que Moscou renforce son influence via des accords sécuritaires et la présence du groupe Wagner. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), soutenue par la France, impose des sanctions économiques, mais la junte résiste en s’appuyant sur ces nouveaux partenaires.
Ce réalignement n’est pas isolé : depuis 2020, les États sahéliens diversifient leurs alliances, suspendant leur coopération sécuritaire avec la France et se tournant vers des acteurs comme la Chine, qui investit massivement dans les infrastructures, ou la Turquie, qui a réalisé 6,5 milliards d’euros d’investissements en Afrique en 2023.
L’historien et philosophe camerounais Achille Mbembe, spécialiste des questions postcoloniales, analyse ce basculement comme le symptôme d’un échec plus large. Pour lui, les coups d’État en Afrique de l’Ouest ne sont que des manifestations d’un basculement en profondeur, longtemps ignoré par les élites politiques. La France, en refusant de reconnaître les aspirations locales et en maintenant une politique sécuritaire rigide, a contribué à alimenter ce rejet. Mbembe souligne que la France doit repenser sa relation avec l’Afrique, sous peine de voir son influence continuer à décliner face à des acteurs comme la Russie ou la Chine, perçus comme moins intrusifs.
Depuis les indépendances des pays d’Afrique francophone, la France a maintenu une présence militaire et politique forte sur le continent, justifiée par la lutte contre l’instabilité et le terrorisme. Pourtant, cette approche, souvent perçue comme paternaliste ou néocoloniale par les populations et les élites africaines, a alimenté un ressentiment croissant. Les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, ainsi que la montée des discours anti-français, illustrent ce rejet. La France, qui a longtemps compté sur des régimes alliés pour maintenir son influence, se retrouve aujourd’hui confrontée à une région qui diversifie ses partenariats et refuse l’influence de son ancien colonisateur.
Le coup d’État au Niger révèle donc un échec à la fois stratégique (perte du dernier allié sahélien) et symbolique (rejet du modèle français). Malgré des décennies de coopération militaire et des opérations comme Barkhane, la France n’a pas su anticiper ni prévenir la défiance grandissante envers sa présence. Les régimes militaires sahéliens, en rupture avec les modèles démocratiques soutenus par l’Occident, s’orientent vers des partenariats alternatifs, souvent plus pragmatiques. Pour la France, la perte de son partenaire Nigérien marque la fin d’un cycle postcolonial et l’urgence de repenser sa politique africaine.