La Ferme, peinte par Joan Miró en 1921, n’est pas une simple vue du mas familial de Montroig : derrière son apparence réaliste, chaque objet – du puits à la corde, de l’arbre à la porte – est transfiguré par un trait naïf et des couleurs franches. Ce tableau condense l’un des fils rouges de l’avant-garde catalane : transformer le quotidien local en langage universel. Gaudí, Miró et Dalí, chacun dans son médium, puisent dans les formes, les lumières et les contrastes de leur région pour bâtir un imaginaire inédit. Chez Gaudí, les lignes ondulantes et les motifs organiques rappellent les vagues de la Méditerranée ou les pentes du Baix Camp. Dalí, lui, découpe ses paysages oniriques sur les reliefs accidentés et les ciels changeants de la Costa Brava.
Si la Catalogne les inspire, c’est qu’elle condense un décor singulier : entre mer et montagne, baignée d’une lumière tranchée, riche d’une tradition artisanale où la pierre, la céramique et le fer forgé nourrissent l’invention formelle. La modernité catalane du début du XXe siècle, ouverte aux échanges mais attachée à ses racines, offrait à ces artistes un terreau idéal : ancrage local et ouverture internationale. Tous voyageront : Gaudí expose à Paris en 1878, Miró et Dalí s’immergent dans le bouillonnement surréaliste de l’entre-deux-guerres, fréquentant Breton, Man Ray ou Ernst. Mais tous reviennent à leur point de départ, réinterprétant la Catalogne comme d’autres un mythe personnel.
Aujourd’hui, leur œuvre continue de résonner car elle conjugue identité et universalité. Les courbes de la Sagrada Família ou les couleurs de la Fondation Miró parlent à des millions de visiteurs bien au-delà de leurs origines. Dalí a su, de son vivant, orchestrer son héritage en bâtissant à Figueres un théâtre-musée qui est aussi un autoportrait en trois dimensions. En filigrane, persiste cette idée que la Catalogne n’a pas été seulement un décor : elle a été un moteur créatif, un cadre que ces artistes ont su transformer en matière à rêver, à penser et à transmettre.