Ces artistes de plus en plus populaires chantent la gloire des cartels, de leurs dirigeants, et racontent en détail leurs “exploits” sanglants. Le narcocorrido est à la croisée de plusieurs facteurs sociaux et culturels. Il serait à la fois le symptôme d’une violence, qui sévit depuis le début de la guerre de l’État contre le narcotrafic; mais il en serait aussi un instigateur en participant directement aux dynamiques de pouvoir et de lutte qu’ils instaurent.
Le corrido est né pour faire le récit d’événements historiques ou exposer la vie de personnages mythiques, notamment à l’époque de la Révolution Mexicaine dans les années 1910. Comme un outil de propagande, le corrido servait, pour les chefs révolutionnaires, à s’attirer la faveur du peuple. Il devient une expression de la mémoire collective en opposition à l’histoire officielle, permettant aux diverses factions révolutionnaires de se faire entendre, de mobiliser, de politiser mais aussi de fonder une identité culturelle autour de la révolte.
Dès ses débuts, le corrido n’est donc pas un style qui exclut la violence et la guerre: ces éléments en font partie, et constituent un élément de la culture de certaines régions, notamment au nord. Le narcocorrido pioche dans cette tradition en ce qu’il a le même but: raconter des événements et idéaliser des personnages. Seulement, ici, ceux qui sont glorifiés et mis au centre des récits sont des narcotrafiquants et ce qui est chanté renvoie à leurs activités illicites. Les artistes de narcocorridos (Peso Pluma, Junior H…) célèbrent les cartels et jouent un rôle dans les guerres de pouvoir qui se trament entre eux. Très souvent, leur chansons sont commandées par des chefs de cartels qui souhaitent faire peur ou menacer le concurrent: l’outil n’est donc pas neutre en conséquences et en motivations. Le narcocorrido apparaît comme la manifestation d’un phénomène qui existe déjà et qui impacte en ce moment même la vie des mexicains. Malgré les impacts réels du narcotrafic sur la vie quotidienne, ce n’est pas pour autant que le public condamne le narcocorrido. Au contraire, beaucoup de jeunes s’y reconnaissent et y voient le récit d’un rêve frustré: celui d’avoir du succès, d’avoir de l’argent, de sortir de leur condition sociale. Au-delà de la violence et du crime, il semblerait que ce qui rassemble les jeunes derrière ces chansons ce soit le besoin d’exprimer une réalité qu’ils vivent et qui fait partie de leur histoire. Cela ne veut pas dire que ces jeunes sont prêts à s’engager dans le crime, mais plutôt qu’ils cherchent un moyen d’exister, de se faire entendre.