L'enjeu

Alors que l’Iran traverse une crise économique et sociale aiguë, son régime continue de miser sur une stratégie d’influence extérieure fragilisée. Dans cet entretien, un spécialiste décrypte les fissures du pouvoir, les limites du programme nucléaire, la contestation persistante et les perspectives d’évolution politique.

L'intervenant

Gérard Vespierre est géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et du monde chiite. Fondateur du site d’analyse Le Monde Décrypté, il intervient régulièrement dans les médias pour décrypter les enjeux stratégiques de la région, notamment l’Iran, qu’il étudie depuis de nombreuses années.

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L’Iran : un régime fissuré entre répression intérieure et isolement régional

L’Iran peut-il survivre à la crise intérieure et au recul régional ?

En juin 2025, l’escalade guerrière entre Israël et l’Iran a provoqué une onde de choc géopolitique. Israël a mené des frappes sur les sites nucléaires iraniens (Fordow, Natanz, Isfahan), sans éliminer la capacité d’enrichissement que Téhéran pourrait reprendre en quelques mois. Pour autant, une attaque sur la prison d’Evin à Téhéran a fait 71 morts, ciblant le cœur symbolique du régime. Ces actions accentuent la fragilité du régime mais sont-elles pertinentes ?

Alors que les discussions nucléaires sont de nouveau dans l’impasse, l’Iran cherche-t-il réellement à se doter de la bombe ?

C’est une excellente question, parce que je me la pose aussi. La Corée du Nord, avec bien moins de ressources intellectuelles et scientifiques, est devenue nucléaire en vingt ans. L’Iran, non. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas d’alliés qui souhaitent vraiment qu’il le devienne. Ni la Russie ni la Chine ne veulent d’un Iran nucléaire. C’est une stratégie de nuisance, de pression. Et à mon sens, ce pays n’en a pas les capacités techniques. S’il avait pu mettre en œuvre un programme, il l’aurait déjà fait depuis quarante ans. 

Depuis la répression du soulèvement de 2022, la contestation a changé de forme. Peut-elle encore ébranler le régime ?

Elle persiste, mais de manière plus discrète. Il existe des unités de résistance, composées de petits groupes : des jeunes, des étudiants, des enfants de membres du régime lui-même. Ils mènent des actions symboliques ou violentes, comme des tags, des incendies de bâtiments liés au régime. Et la répression est terrible : condamnations à mort, tirs à balles réelles, surveillances dans les universités opérée par des miliciens. Mais malgré cette chape de plomb, la dissidence survit.

L’économie iranienne est en grande difficulté depuis des années. Le régime peut-il encore éviter l’implosion sans réformes ?

Il n’y a aucune réforme, et ce n’est pas prévu. Le « Guide suprême de la révolution » Khamenei a dit en 2018 : entre le peuple et les objectifs de la République islamique, je choisis les objectifs. Le peuple est secondaire. On préfère investir dans les milices, les missiles et la propagande régionale plutôt que dans l’eau, l’électricité ou les hôpitaux. Le PIB par habitant issu du pétrole a été divisé par trois depuis 40 ans. L’Iran s’appauvrit, mais le régime tient grâce à la répression et à la rente énergétique.

Malgré ses failles, l’Iran reste actif dans la région. Quelles adaptations observe-t-on dans la diplomatie iranienne ? L’Iran est-il de plus en plus isolé ou parvient-il à redéfinir ses alliances ?

En réalité, l’Iran est sur le reculoir. Le Hezbollah se retire de la Syrie, le Hamas est laminé, les Houthis sont sous pression américaine. Même l’Irak devient un terrain difficile. Alors, il y a des alliés, je dirais, de communication, que sont la Chine et la Russie. On parle « d’accords stratégiques pour 25 ans », ce qui veut dire qu’on est méfiants sur la durée. Ce ne sont pas des alliances entre peuples mais entre régimes. Et attention : l’empire russe et l’empire perse ont toujours été des adversaires. Ils le sont encore, y compris économiquement, car leurs richesses, le pétrole et le gaz, visent le même client, l’Europe. Par conséquent, il n’y a pas de véritable volonté d’alliance durable. L’Iran reste isolé, et ces partenariats sont plus défensifs qu’expansionnistes.

Le rapprochement entre Israël et les monarchies du Golfe redessine le Moyen-Orient. Quelle est la riposte de Téhéran ?

Le 7 octobre a été une réponse iranienne. L’Iran ne pouvait pas tolérer que les dominos des accords d’Abraham tombent un à un. L’attaque du Hamas a été pensée pour stopper ce processus de normalisation. C’était une opération militaire, structurée, avec l’empreinte des gardiens de la Révolution. Mais Israël a répliqué durement, et tous les alliés de l’Iran ont perdu une part cruciale de leur pouvoir. C’est une stratégie de nuisance, pas de puissance.

Malgré ses réserves en pétrole et en gaz, l’Iran fait face à des pénuries énergétiques. Pourquoi ?

Parce que ce n’est pas la priorité du régime. Il n’y a pas d’intérêt à développer le pays. L’argent va vers les armes, le nucléaire, les milices. Les coupures d’électricité, la chute de la production pétrolière, ce sont les conséquences directes de ce choix. Le développement intérieur est sacrifié au profit de l’idéologie. On préfère produire pour assurer le contrôle intérieur et la sécurité extérieure  que pour le peuple.

La République islamique peut-elle encore se réinventer, ou va-t-elle inévitablement vers sa fin ?

Trois scénarios se dessinent. Le premier, une transformation interne avec une sortie progressive des religieux au pouvoir. Le second, une révolution populaire, déclenchée par un événement comme la mort de Mahsa Amini en 2022. Le troisième, un effondrement par épuisement du système. Khamenei a 86 ans. Il pourrait être le dernier guide suprême. Pour la première fois, sa parole n’est plus suivie. Son pouvoir est désacralisé. Le régime est fissuré, il entre en phase de déstructuration. Quand peut-il tomber ? Nul ne peut le dire. Mais c’est en marche.

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