Bien que les murals permettent de conserver cette mémoire, ils sont aussi fragiles et soumis aux mutations d’une ville en constante évolution. Le médium filmique permet alors à Varda d’immortaliser à la fois les œuvres et les histoires qu’elles racontent.
Dans Mur murs, Agnès Varda présente un art urbain populaire et engagé, porteur de la mémoire sociale de la ville. Le documentaire met en lumière des artistes comme Judith Francisca Baca, muraliste et éducatrice, à l’origine d’un projet de fresque réalisée par des jeunes sortis de prison. Cette œuvre collective, qui rassemble diverses communautés, est un moyen pour les artistes de se réapproprier l’espace public et de donner à voir leur art, souvent ignoré par les institutions muséales.
À la manière des artistes de la fresque et de l’ensemble des muralistes, Varda ne se sert pas des murs pour enfermer mais bien pour créer des ponts entre les différentes communautés qu’elle suit et relie à jamais dans un même objet filmique. Ces murals deviennent ainsi des témoins d’événements historiques comme la ségrégation, l’exploitation des peuples autochtones, ou encore la discrimination raciale.
Les murals font partie intégrante du paysage urbain. Ils naissent dans n’importe quel lieu : de l’usine à l’école en passant par le parking. Ainsi, ils sont un symbole de Los Angeles et transforment l’espace public en un lieu d’art accessible à tous. Néanmoins, la liberté qui permet à ces murals de fleurir un peu partout les rend aussi vulnérables, puisqu’ils ne sont pas pris en compte dans les politiques d’urbanisme et de transformation de la ville. Certaines fresques disparaissent alors sous de nouvelles constructions ou sont dégradées par les autorités. Varda, par son documentaire, capture ces œuvres avant qu’elles ne soient effacées, conservant ainsi la mémoire visuelle d’un Los Angeles en perpétuelle mutation. Cette démarche se conclut sur un mural prophétique du grand tremblement de terre qui menace la ville, métaphore de la fragilité des œuvres d’art et des villes elles-mêmes. Cette fragilité se répercute sur le documentaire lui-même, réalisé sur un support périssable : la pellicule.