
En produisant des instruments, l’homme gagne en aisance matérielle, mais il se laisse aussi imprégner par les outils qui façonnent son rapport au monde. Dans un jeu d’influence réciproque, il peut à la fois revêtir le rôle de sujet, mais devient aussi partie intégrante des dispositifs qu’il crée : le geste permet à l’outil d’exister; et en retour, l’outil prédispose le geste à être effectué. Dans ces conditions, quelle place peut-on attribuer à l’individu dans l’univers technique ? Doit-on le considérer comme l’initiateur de l’élan créateur des objets, ou, doit-on l’envisager dans un écosystème plus large où il devient un élément d’articulation nécessaire au bon fonctionnement de son environnement technique ?
Henri Bergson définit l’intelligence comme la capacité de fabriquer des « outils à faire des outils » et d’en varier indéfiniment la fabrication. Cette définition souligne le degré d’autonomie de l’outil qui détient la faculté de produire une nouvelle génération d’objets techniques. Comme l’explique Marcel Mauss, « il n’y a pas de technique sans transmission, s’il n’y a pas de tradition » : les procédés de production cristallisent des savoirs-faire et des usages qui conditionnent les manières de vivre ensemble.
Pour Stéphane Vial, « nul ne peut échapper à la nécessité de ne plus penser la technique en termes d’objets séparés des sujets. Notre être dans le monde est lui-même un fait techniquement produit et notre faculté de percevoir dépend des appareils du système technique dans lequel nous vivons ». Vilém Flusser va plus loin : en plus d’affirmer que notre essence humaine dépend d’une « phénoménologie de l’interobjectivité », il affirme que nous devenons à notre tour fonctionnaires des objets techniques, « des agents ne faisant que manipuler des symboles et traitant toute chose ou personne comme une entité objectivable, calculable ». Pour sortir de ce déterminisme, Flusser nous invite à détourner l’usage des dispositifs pour regagner une part de notre libre arbitre.
Quelle est votre opinion?