La Turquie, qui entretient une relation complexe avec l’UE depuis 1987, se place aujourd’hui comme un partenaire incontournable. Armant l’Ukraine d’une main et négociant avec la Russie de l’autre, Ankara estime désormais que « si une architecture de sécurité européenne doit devenir opérationnelle, elle ne peut se faire sans la Turquie ».
Les trois décennies de négociations entre Bruxelles et Ankara témoignent à la fois des enjeux diplomatiques et géopolitiques qui se jouent entre les deux puissances. Depuis la candidature officielle de la Turquie en 1987, la question de son adhésion à l’Union européenne a été marquée par des obstacles majeurs, principalement liés à son déficit démocratique et à ses violations des droits de l’homme. Ces dernières années, le durcissement du régime de Recep Tayyip Erdoğan a compromis la potentielle adhésion turque à l’UE. Si le Conseil de l’Union européenne a estimé en juin 2019 que les négociations étaient « au point mort » avec Ankara, les rapports de force d’hier ont été bousculés par la menace de désengagement des États-Unis. Force est de constater que la Turquie s’impose aujourd’hui comme un allié de taille pour l’UE.
Forte à la fois de sa capacité à négocier avec la Russie et à limiter son influence, la Turquie reste un acteur clé dans la définition de l’avenir de l’Ukraine. Recep Tayyip Erdoğan a tout intérêt à défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine pour contrer l’expansionnisme agressif de la Russie dans la zone de la mer Noire, qui constitue une menace pour la sécurité géopolitique et énergétique de son pays. S’ajoute à ce rôle diplomatique une puissance militaire incontestable. Ankara soutient de manière décisive Kiev depuis les premiers jours, lui fournissant des systèmes d’armes de pointe, dont le célèbre drone Bayraktar, qui a permis de faire plier Moscou dans des batailles clés. Deuxième puissance militaire de l’OTAN, la dépendance de l’armée turque au matériel étranger est tombée de 70 % à 30 % sous l’impulsion d’Erdoğan.Grâce à des investissements massifs dans les différents domaines militaires – 60 milliards de dollars par an depuis 2022 – « la Turquie est l’une des rares nations à être préparées à une telle augmentation de la demande », selon une étude du cabinet de conseil Kearney réalisée après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Qualifiée de « puissance contradictoire » par le chercheur en droit européen Alexis Coskun, Ankara pourrait bien tirer parti de son jeu d’équilibriste stratégique à l’heure du réveil du Vieux Continent.