Comment la représentation de l’inceste au cinéma a-t-elle évoluée depuis #MeToo?

Depuis le 15 octobre 2025, le public français peut découvrir en salles The Chronology of Water, premier film réalisé par l’actrice Kristen Stewart. Ce film, adapté du récit autobiographique de Lidia Yuknavitch, raconte le parcours de reconstruction de son autrice après les abus psychologiques et sexuels commis par son père durant son enfance. Bien que très singulier dans sa forme – avec un usage appuyé de la voix off et des scènes très hachées en référence aux souvenirs fragmentés du personnage principal – The Chronology of Water fait écho à de nombreuses œuvres cinématographiques sorties récemment et participe au renouvellement des représentations de l’inceste au cinéma.

Depuis le mouvement social #MeToo en 2017 et surtout depuis l’apparition de #MeTooIncest en 2021 (en réaction au livre La Familia Grande de Camille Kouchner qui relatait l’inceste commis par Olivier Duhamel sur le frère de l’écrivaine), les productions culturelles, notamment cinématographiques, s’emparant de ce sujet ont beaucoup évolué. 

Si le 7e art a toujours abordé l’inceste, c’est sa « représentation en tant que violence » qui a longtemps demeuré « tabou », remarque l’essayiste Iris Brey dans l’ouvrage qu’elle a codirigé La culture de l’inceste (2022). L’autrice commence par s’appuyer sur la définition de l’inceste établie par l’association Face à l’inceste, qui le décrit comme étant tout acte à caractère sexuel commis au sein « de la famille de sang et la famille élargie. ainsi que la famille par adoption ». Cette définition diffère donc de celle du code pénal qui n’intègre pas la famille élargie. 

Au fil de son essai, Iris Brey analyse plusieurs productions cinématographiques mettant en scène l’inceste à différents niveaux de filiation – du père envers la fille, entre frères et sœurs ou mère et fils – et montre que pendant longtemps, la violence de l’acte a été majoritairement passée sous silence. Dans Lolita de Kubrick, par exemple, l’inceste subi par Dolorès de la part de son père adoptif, Humbert, est largement érotisé puisque la jeune fille est présentée comme séductrice. Son ressenti est oblitéré du scénario au profit des pensées de son agresseur. On peut aussi citer Ma mère de Christophe Honoré dans lequel une mère entame une relation incestueuse avec son fils, mais celle-ci est présentée comme « une étape constructive de sa virilité », pour reprendre les termes d’Iris Brey, plutôt que comme une violence. De même, les situations d’inceste entre un frère et une sœur qui ont jalonné de nombreuses œuvres (The Dreamers de Bertolucci ou Marguerite et Julien de Valérie Donzelli) sont régulièrement filmées et interprétées comme des romances impossibles. Dans tous ces cas de figure, malgré quelques divergences, la violence de l’inceste est niée et érotisée. 

Après #MeToo, les cinéastes ont rebattu les cartes. Si certains l’avaient fait avant (notamment Tim Roth dans The War Zone en 1999), beaucoup ont été influencés par ce mouvement de libération de la parole en articulant justement leur scénario autour de celles des victimes. Ainsi, la douleur de cette dernière ne peut être niée et d’autres thématiques peuvent émerger. C’est le cas dans Dalva d’Emmanuelle Nicot (2023) qui suit une fille de 12 ans retirée du domicile paternel dans lequel elle est incestée et placée en foyer. Ici, la réalisatrice insiste sur le parcours de reconstruction de la victime et montre le fonctionnement à long terme de l’emprise – ce qui n’était que peu mentionné dans les autres scénarios parlant d’inceste. 

Récemment, l’année 2025 a aussi vu paraître Cassandre d’Hélène Merlin dont l’histoire est inspirée du vécu de la réalisatrice. On y suit Cassandre, 14 ans, qui pendant l’été 1998 va subir des viols de la part de son grand frère. Dans son récit, Hélène Merlin met à mal plusieurs clichés : elle ne fait ni du frère un personnage de « monstre » déshumanisé, ni de Cassandre une complice volontaire des événements. Et surtout, elle évite l’écueil de la romance interdite. Grâce à une voix off, le spectateur connaît les souffrances et les interrogations du personnage principal, ce qui replace une fois encore la parole de la victime au centre. « En faisant Cassandre, j’avais besoin d’amener de la nuance et de dire : ‘‘Non, une histoire d’inceste entre un frère et une sœur n’est pas une histoire d’amour’’. Je voulais rétablir une forme de vérité. Il fallait affiner, poser un regard juste sur son état et ses actions », explique Hélène Merlin (interview du média Sorociné). 

Dans un cas comme dans l’autre, Dalva et Cassandre participent à la remodélisation des représentations de l’inceste en insistant sur sa violence et en remettant la parole des victimes au centre. Par ailleurs, la multiplication de ce type de productions cinématographiques parlant de l’inceste, représenté dans des contextes très variés, permet aussi au spectateur de réaliser la présence massive de ces violences dans toutes les strates de la société (1 français sur 10 en serait victime selon le sondage IPSOS 2023). Rappelons toutefois que ces représentations post#MeToo de l’inceste n’ont pas intégralement remplacé celles qui les ont précédés. Ainsi, une mise en scène largement érotisée de l’inceste peut se retrouver dans la série House of the Dragon où la relation entre un oncle et sa nièce est présentée comme une histoire d’amour tumultueuse. Le 7e art a donc encore beaucoup de travail à faire avant de parvenir à arracher ces clichés qui ont la dent dure.

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