La montée en puissance du parti populaire danois (extrême droite) dans le paysage politique national (de 7.4% en 1998 à 21.1% en 2015) et de son programme anti-immigration explique en grande partie cet état de fait. Son soutien aux différents gouvernements de droite, de 2001 à 2007 puis de 2015 à 2019, afin de parvenir à une majorité, s’est négocié autour de son programme sur l’immigration. Il demandait aux différents gouvernements qui se sont succédés d’appliquer de nombreuses restrictions (durée de résidence sur le territoire relevée, statut de réfugié et naturalisation plus difficile à avoir, etc.). Toutefois, l’écho de ce programme a eu une influence sur l’électorat et les élections législatives successives, les partis traditionnels de pouvoir ayant repris peu à peu ce pan programmatique.
L’évolution du point de vue politique sur la question est symbolisée par la volte face des sociaux-démocrates. Désireux d’assouplir la politique migratoire danoise durant son temps au pouvoir de 2011 à 2015, ils adoptent par la suite une position ferme sur la question, faute de retombées électorales durant les élections de 2015. De retour au pouvoir en 2019, le parti social-démocrate a multiplié les mesures contraignantes pour toute personne souhaitant immigrer au Danemark (facilitation des expulsions, durcissement accru de l’accès à la nationalité danoise ou de la possibilité du regroupement familial). Ces mesures incluent les demandeurs d’asile, par le durcissement des conditions d’accès à ce statut. Entre 2015 et 2023, le Danemark a vu ses demandes d’asile baisser de 21 000 à 2000 par an. En plus de ces mesures, le pays a mis en place des centres de rétention, plaçant toute personne qui se voit refuser sa demande d’asile en instance d’expulsion. Certaines procédures longues, pouvant parfois aller à plusieurs années, obligent les personnes retenues à errer d’un camp à l’autre. L’objectif d’une externalisation du processus de demande d’asile est la future priorité du gouvernement social-démocrate. Les tentatives d’accord avec le Rwanda en 2022, abandonnées suite aux vives contestations de l’Union européenne, entrent dans cette optique.
Toutefois, les propositions danoises tendent à s’imposer petit à petit dans le débat européen, où de plus en plus de forces politiques approuvent et soutiennent ces restrictions. En France, la droite, avec le soutien de l’extrême droite, reprend les idées développées par le Danemark concernant l’immigration (restriction/suppression du droit du sol, durcissement des conditions d’accès à la protection sociale, etc.). L’étude du projet de loi sur l’immigration en 2023 au Parlement (Assemblée nationale + Sénat) a vu ces idées faire ou refaire irruption dans le débat public français. En Allemagne, le nouveau chancelier Friedrich Merz, élu en partie sur la promesse d’une politique migratoire plus restrictive, a qualifié la politique danoise de “vraiment exemplaire”. L’Italie, quant à elle, a pris l’initiative de construire des centres pour les demandeurs d’asile secourus en haute mer en Albanie, avec un investissement de 800 millions d’euros sur les cinq prochaines années, afin de rentrer dans cette logique d’externalisation..
Plusieurs pays rejoignent le point de vue danois. Une première lettre signée par 15 pays européens en 2024 abondait dans son sens, notamment sur l’externalisation des procédures d’asile dans un pays tiers. Le 22 mai 2025, 8 de ces pays, le Danemark en tête, signent une lettre ouverte pour demander la réévaluation de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Ses décisions reposeraient sur des interprétations jugées trop extensives de la convention européenne des droits de l’homme (avec comme dernier exemple pour le Danemark, l’affaire Sharafrane). Ils demandent également “plus de latitude au niveau national pour décider de l’expulsion des étrangers ayant commis des crimes”, la CEDH apportant un déséquilibre, d’après eux, sur ce qu’ils appellent les “intérêts souverains”, ici en matière d’immigration.
La diffusion de la ligne danoise inquiète par le fait qu’elle se place à la lisière du droit international. Le haut-commissariat des Nations-Unies aux réfugiés (HCR) a exprimé son opposition face “aux efforts visant à externaliser ou à sous-traiter l’asile et les obligations de protection internationale à d’autres pays” durant la tentative danoise d’accord avec le Rwanda et rappelle que cela irait “à l’encontre de la lettre et de l’esprit de la Convention internationale de 1951 sur le statut des réfugiés« . La commissaire européenne aux droits de l’homme, Dunja Mijatović, rappelle que l’externalisation des procédures d’asile “n’était pas possible au regard des règles en vigueur au sein de l’Union européenne”. Les organisations humanitaires s’inquiètent, en appuyant le risque d’aggravation des souffrances humaines que provoquerait l’expansion du processus d’externalisation, tout en pointant des dépenses publiques inutiles.
Céline Mias, directrice pour l’UE du conseil danois pour les réfugiés, relève un procédé “discutable d’un point de vue éthique” qui “viole le principe de non-refoulement”. D’un point de vue plus circonscrit, Marlène Wind, professeur de science politique à l’Université de Copenhague, rappelle que la politique migratoire fait consensus au Danemark, à gauche comme à droite, ce qui n’est pas le cas en France. Patrick Martin Grenier, enseignant à Sciences Po et spécialiste des questions européennes, appuie ces réserves et émet des doutes sur la transposition du modèle danois en France, par l’absence de consensus politique et des liens importants que la France entretient avec l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest du fait de son passé colonial.