Des investissements massifs dans les entreprises révèlent un véritable « business de la frontière », un secteur de la protection des frontières en pleine expansion. Ceux-ci se font principalement dans le cadre de partenariats européens, sous l’égide de Frontex (l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes), ou de partenariats bilatéraux, par exemple avec la Grande-Bretagne à Calais. En 2016, Vinci a été mandatée pour construire un mur de 4 m de haut et d’un km de long à Calais, pour un total de 2,7 millions d’euros, versés par la Grande-Bretagne. Mais les plus grands investissements en faveur des entreprises du « business de la frontière » se font en R&D (recherche et développement). Par exemple, en 2015, Thales a signé 2 contrats avec Copernicus (l’agence européenne chargée de la surveillance de la Méditerranée depuis l’espace) pour un total de 370 millions d’euros.
Guillaume Pitron, chercheur à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), évoque à ce titre un « complexe militaro-industriel » construit par les politiques de renforcement des frontières à l’échelle européenne. Dans un même temps, le budget de Frontex était de 922 millions d’euros en 2024, et a été multiplié par 153 depuis sa création en 2005. Près d’un tiers de ce budget est consacré aux partenariats avec des entreprises, aux premiers rangs desquelles figurent les entreprises françaises évoquées plus haut. Ce recul de l’État au profit d’acteurs privés laisse craindre un retrait de sa responsabilité quant à la dangerosité croissante des migrations, alors que, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 40 000 personnes ont perdu la vie en Méditerranée en 10 ans. Le réseau Migreurop évoque une « déresponsabilisation organisée » des États européens en matière de politiques migratoires.
Par ailleurs, l’efficacité de cette sous-traitance est à relativiser : en 2021, un rapport de la Cour des comptes européenne concluait que Frontex n’avait pas rempli ses missions de contrôle des frontières. Les préoccupations croissantes à propos du contrôle migratoire laissent néanmoins présager un « business de la frontière » florissant pour les prochaines années.