La participation d’Israël aux programmes européens de recherche n’est pas nouvelle. Depuis 1996, Israël est un pays associé aux programmes-cadres européens, ce qui lui permet de participer à l’ensemble des appels à projets sur un pied d’égalité avec les États membres. Lors du précédent programme Horizon 2020 (2014-2020), Israël avait obtenu un financement total d’environ 1,38 milliard d’euros pour près de 1 600 projets. Pour Horizon Europe (2021-2027), la contribution israélienne est estimée à 2,4 milliards d’euros, pour un retour attendu d’environ 2,6 milliards, selon le ministère israélien de l’Innovation. Cette coopération a toujours reposé sur des fondements scientifiques, mais aussi politiques : l’UE exige que ses partenariats soient compatibles avec ses principes fondamentaux, dont le respect du droit international.
Ce principe a été formellement encadré par les « lignes directrices » adoptées en 2013, interdisant le financement de projets menés dans les colonies israéliennes en Cisjordanie, à Jérusalem-Est ou sur le plateau du Golan, territoires considérés comme occupés au regard du droit international. Depuis lors, tout accord de participation aux programmes européens inclut une clause territoriale précise. Israël avait d’ailleurs accepté cette condition à contrecœur en 2014 pour participer à Horizon 2020. Toutefois, depuis octobre 2023, le conflit entre Israël et le Hamas a ravivé les tensions diplomatiques. L’intervention militaire israélienne à Gaza a fait plus de 38 000 morts selon le ministère de la Santé de Gaza, dont une majorité de civils selon les sources onusiennes. L’UE, qui appelle depuis des mois à un cessez-le-feu humanitaire, s’est divisée sur la position à adopter face à Tel-Aviv.
C’est dans ce contexte que plusieurs pays membres, dont l’Irlande, l’Espagne et la Belgique, ont demandé un réexamen de la participation israélienne à Horizon Europe, en invoquant le non-respect présumé du droit international humanitaire. En parallèle, un groupe d’eurodéputés a envoyé en mai 2025 une lettre à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, soulignant que « le financement européen de projets israéliens sans distinction, y compris d’entités opérant dans les colonies, serait incompatible avec le droit de l’Union ». Ceci pour mettre en avant que l’UE ne peut se permettre de financer des projets, à l’aveugle, sans connaître les détails ni les réalités de terrain de mise en place de ceux-ci. Cette lettre cite aussi les conclusions préliminaires de la Cour internationale de justice, qui a reconnu en janvier 2024 un « risque plausible de génocide » à Gaza, sans accuser directement Israël mais en lui ordonnant de prévenir tout acte en ce sens. Cela a accru la pression politique sur la Commission.
La décision de suspendre ou non la participation d’Israël à Horizon Europe repose sur une série d’audits juridiques internes et de consultations avec les États membres. Bruxelles s’interroge notamment sur le degré d’implication d’organismes israéliens basés dans des colonies dans des projets financés par Horizon Europe. Un rapport interne, révélé en juin 2025 par Politico, mentionne que 47 projets actifs pourraient être concernés par des violations des clauses territoriales, impliquant des universités ou des start-up installées en Cisjordanie. L’examen juridique est confié au Service européen pour l’action extérieure (SEAE), qui doit déterminer si ces entorses justifient une suspension partielle ou totale.
L’impact d’une suspension serait significatif. Pour Israël, cela représenterait une perte de visibilité et de ressources dans un secteur clé : la recherche et développement représente 5,4 % du PIB du pays, l’un des taux les plus élevés au monde. Plus de 12 000 chercheurs israéliens ont été impliqués dans les projets européens depuis 2014. Côté européen, Israël est un partenaire important dans des domaines stratégiques comme les technologies médicales, les énergies renouvelables et la cybersécurité. Des consortiums associant des universités européennes et israéliennes pourraient être mis en difficulté, voire démantelés si la suspension s’applique rétroactivement.
Des précédents existent. En 2014, la Commission avait déjà suspendu temporairement la coopération avec la Turquie dans certains projets Horizon 2020 en raison de dérives autoritaires et de violations des droits de l’homme. Toutefois, une suspension totale d’un pays associé pour des raisons liées à un conflit armé constituerait une première dans l’histoire des programmes-cadres. Le cas israélien pose donc un dilemme inédit : comment concilier coopération scientifique, neutralité académique et cohérence éthique dans le cadre d’une politique extérieure européenne fondée sur les droits fondamentaux ?
Une décision finale est attendue avant le lancement du prochain appel à projets majeur prévu pour mars 2026. Elle dépendra aussi de l’évolution de la situation sur le terrain. Un éventuel cessez-le-feu, un changement de coalition gouvernementale en Israël, ou une reprise de négociations de paix pourraient infléchir la position de Bruxelles. D’ici là, la Commission a suspendu l’évaluation de nouveaux projets impliquant des entités controversées, en attendant les conclusions de son enquête. Ce processus illustre la complexité croissante des politiques de coopération internationale à l’heure où science et géopolitique sont de plus en plus imbriquées.