Cette mobilisation de grande ampleur se présente comme une réaction à la politique du gouvernement de François Bayrou, ancien Premier ministre. Au cœur de la contestation, la politique budgétaire axée sur des économies significatives afin de réduire le déficit public et réaliser 43,8 milliards d’euros d’économies en 2026. Ce qui est particulièrement source de tension est la suppression de deux jours fériés : le lundi de Pâques et le 8 mai. L’ancien Premier ministre annonce un gel des dépenses de l’État et des économies demandées aux collectivités territoriales à hauteur de 5,3 milliards d’euros en 2026.
Selon le ministère de l’Intérieur, le mouvement a réuni près de 197 000 participants et compte plus de 800 actions et 675 interpellations. En comparaison, le premier mouvement des gilets jaunes avait réuni plus de 280 000 personnes le samedi 17 novembre 2018.
Jamais depuis 1958, un gouvernement n’a été renversé par un refus de confiance. Cela rend particulièrement unique ce second quinquennat d’Emmanuel Macron. Prévu par l’article 49 alinéa 1, le vote de confiance est le mécanisme inverse de la censure. Il est initié par le Premier ministre et, pour que son gouvernement et lui-même puissent rester en place, il faut une majorité de voix en faveur de la confiance. Sous la IVe République, ce vote était optionnel pour l’investiture du président du Conseil, mais avec le passage à la Ve République, il est devenu une option. François Bayrou en fait usage sur sa déclaration de politique générale, et le 8 septembre devient une date fondamentale qui témoigne de la crise politique. Pour la première fois sous la Ve République, l’Assemblée nationale refuse la confiance au gouvernement sur une déclaration de politique générale par 364 voix contre (194 pour et 15 abstentions).
Cela induit la démission du gouvernement Bayrou et la nomination d’un nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, ancien ministre des Armées, ainsi que la composition d’un nouveau gouvernement. Ce dernier n’est pas à l’abri d’une motion de censure, un texte voté par les députés pour exprimer leur opposition à la politique du gouvernement. L’Assemblée nationale peut obtenir la démission du gouvernement si la motion recueille la majorité absolue de ses membres, soit au moins 289 voix. Jean-Luc Mélenchon (LFI) a déclaré lors de la Fête de l’Humanité que si Sébastien Lecornu ne demandait pas la confiance de l’Assemblée nationale, une motion de censure serait déposée. Marine Le Pen (RN), quant à elle, déplore la nomination de Sébastien Lecornu, proche d’Emmanuel Macron, et constate que l’exécutif ne compte pas infléchir sa ligne politique. Le Rassemblement national appelle aux urnes afin de résoudre cette crise politique que traverse la Ve République.
La première semaine d’octobre 2025 s’impose comme une période inédite sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Peu de temps après sa nomination et la composition de son nouveau gouvernement, le Premier ministre Sébastien Lecornu présente sa démission le 6 octobre au président de la République. Il démissionne moins d’un mois après sa nomination, car il n’a pas réussi à obtenir un consensus politique pour gouverner. Il dénonce l’irresponsabilité des partis politiques qui agissent en vue de l’élection présidentielle. Cela fait de Sébastien Lecornu le Premier ministre le plus éphémère de la Ve République, mais aussi celui qui a mis le plus de temps à former son équipe gouvernementale. Sa démission est aussitôt acceptée par le président de la République, qui le renomme quatre jours plus tard, le 10 octobre, avec un nouveau plan. Des négociations plus solides auront lieu avec les forces politiques afin de parvenir à une plateforme d’action et de stabilité pour le pays. Cette demande est acceptée par le Premier ministre. Emmanuel Macron s’engage à prendre ses responsabilités en cas d’échec de ces négociations. La nomination d’un nouveau chef du gouvernement ou une dissolution de l’Assemblée nationale pourraient être envisagées. Un nouveau déséquilibre institutionnel n’est donc pas impossible.
Depuis les élections législatives de 2024, l’instabilité politique se renforce avec des gouvernements qui se succèdent, rappelant l’instabilité gouvernementale sous la IVe République, où 24 gouvernements se sont succédé en 11 ans.
La France traverse actuellement une nouvelle phase tout aussi unique, car le second mandat d’Emmanuel Macron connaît une Assemblée nationale fragmentée en onze groupes politiques et sans majorité absolue pour le camp présidentiel.
L’opposition peine à s’unir et cet émiettement de l’Assemblée nationale entraîne des difficultés pour les partis politiques à s’entendre sur les politiques publiques, auxquelles s’ajoutent des désaccords au sein des partis dominants sur les questions internationales. Ces clivages transforment la société et la politique.
Le fait que l’opposition peine à s’unir constitue un enjeu qui renforce cette instabilité. Dans ce contexte d’absence de majorité et avec une telle Constitution, le président de la République donne l’impression de ne plus pouvoir assurer la stabilité de l’action gouvernementale.
Le président de la République doit donc à la fois tenir compte de la fragilité institutionnelle dans laquelle il se trouve, avec une absence de majorité à l’Assemblée, et de son objectif de réduction de la dette publique.
En parallèle, un conflit géopolitique majeur touche le territoire européen : la guerre en Ukraine.
Cette instabilité empêche le gouvernement de mettre en œuvre sa politique, à commencer par le budget 2026.
Cette situation s’explique par la Constitution du 4 octobre 1958 : la Ve République repose sur un régime semi-présidentiel où le président dispose de pouvoirs étendus, notamment en matière de nomination du gouvernement et de dissolution de l’Assemblée. Cependant, lorsque la majorité parlementaire ne soutient plus l’exécutif, le président ne peut pas faire appliquer seul ses politiques publiques, même s’il est élu.
La crise politique n’est pas récente et repose sur des fondements tels que le mouvement des gilets jaunes (2018-2019), la crise sanitaire du Covid-19 (2020-2022) ou encore les tensions sociales liées à la réforme des retraites annoncée juste avant la crise sanitaire. Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron était à la fois dynamique et inédit. L’ensemble de ces crises successives a contribué à la création d’un climat d’instabilité.
La situation économique est préoccupante : à la fin du premier trimestre 2025, la dette publique s’établit à 3 345,8 milliards d’euros, soit 114 % du PIB. Le déficit public s’élève à 5,5 %. La situation se détériore et Fitch, l’agence de notation américaine, a dégradé la note de la France de “AA-” à “A+” le 12 septembre 2025. L’agence indique dans son communiqué que “la chute du gouvernement lors d’un vote de confiance illustre la fragmentation et la polarisation croissantes de la politique intérieure”. Cela confirme le lien entre la crise politique actuelle et la situation économique de la France. Cette instabilité rend improbable que la France réduise son déficit jusqu’à la barre des 3 % du PIB en 2029, conformément à l’objectif du gouvernement Bayrou.
Selon le baromètre Elabe du 3 octobre 2024, 82 % des Français jugent urgent de réduire la dette publique. Face à cela, François Bayrou propose un plan d’austérité, ce qui a contribué au renversement de son gouvernement.
La crise budgétaire s’impose comme un facteur qui accentue le contexte politique. Elle s’explique par des causes structurelles et conjoncturelles : l’endettement public ne cesse d’augmenter depuis des décennies. La pandémie de Covid-19, suivie de la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, constitue également un facteur à prendre en compte. L’ensemble de ces défis liés aux finances publiques provoque aussi des tensions sociales : la réforme des retraites est directement liée au difficile financement de la dette publique. Reculer l’âge de départ à la retraite permet de limiter la hausse des dépenses, ce qui réduit la pression sur le budget de l’État. Selon la CGT, le 7 mars 2023, les mobilisations contre le recul de l’âge de départ à la retraite auraient réuni 3,5 millions de personnes. Selon le ministère de l’Intérieur, le nombre de manifestants serait de 1,28 million, une participation très légèrement supérieure à celle du 31 janvier.
Autre source de tensions sociales : la taxe Zucman, qui fait l’objet de nombreux débats. Cette taxe a pour objectif de consolider la justice fiscale en taxant les hauts patrimoines. Bien que différente, elle se rapproche de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de l’ancien impôt de solidarité sur la fortune (ISF). L’IFI taxait uniquement les biens immobiliers, mais la taxe Zucman s’appliquerait à l’ensemble du patrimoine. L’enjeu principal réside dans le fait qu’elle serait, selon ses partisans, une solution pour sortir de la crise de la dette, tandis que ses opposants estiment qu’elle pourrait freiner l’investissement et la prise de risque des entreprises.
Au terme de ces années de turbulences, marquées par des mobilisations sociales massives et des débats parlementaires houleux, le double quinquennat d’Emmanuel Macron s’inscrit dans un contexte de montée de l’extrême droite et d’une polarisation qui redéfinit l’échiquier politique français. La question est de savoir si la France parviendra à dépasser cette polarisation politique à l’avenir.