Jaoui et Bacri aiment travailler à partir de personnages stéréotypés, quitte à tomber volontairement dans la caricature. Selon les psychologues Fiske et Taylor dans leur ouvrage Cognition sociale: Des neurones à la culture, les stéréotypes sont le produit d’une catégorisation automatique qu’opère notre cerveau : nos perceptions sont biaisées de telle sorte que nous associons instinctivement une personne à un groupe social en fonction des attributs qu’elle semble posséder. Par ce mécanisme, nous cherchons à identifier les individus comme appartenant à notre endogroupe – groupe auquel on s’identifie – ou à l’exogroupe – groupe perçu comme différent du nôtre. C’est une dialectique ami/ennemi assez primaire qui génère à son tour des préjugés, guidés par nos émotions. Ils nous prédisposent à réagir favorablement ou non à autrui sur la base de sa potentielle appartenance à un groupe social.
Le film Le goût des autres, scénarisé par le duo, illustre parfaitement ce schéma. Il met en scène Jean-Jacques Castella (Jean-Pierre Bacri), un patron d’entreprise bougon, qui va s’éprendre de Clara, sa professeure d’anglais, lorsqu’il la découvre sur scène interprétant Bérénice. Pour la conquérir, Castella se retrouve confronté à un monde qui lui est étranger : celui de l’élite culturelle. Dépourvu des codes de cette classe, il devient le sujet du mépris et du dégoût de celle-ci.
Castella est l’archétype du râleur, inculte et borné. Bacri, son interprète, renvoie également cette image et renforce les stéréotypes associés à ce personnage : instinctivement, en observant Bacri dans un film, le spectateur développe lui-même un préjugé, et s’attend à ce qu’il incarne son rôle de râleur habituel. Jaoui utilise ce biais pour mieux déconstruire nos attentes et nous montrer toute la sensibilité de Castella, qui développe au fil de l’oeuvre un réel attrait pour l’art, non pas par calcul amoureux mais par goût. Cette humanité inattendue illustre sa complexité et confronte le spectateur à ses jugements initiaux, luttant contre le véritable ennemi dénoncé par le duo : le mépris.