La relation entre Pékin et Lhassa s’ancre dans une histoire commune, remontant à plusieurs siècles. Pour Pékin, il s’agit de légitimer sa présence au Tibet par l’idée d’une « continuité historique ». Le tournant géostratégique survient au XXᵉ siècle : la Chine maoïste envahit le Tibet en 1950, puis crée en 1965 la « Région autonome du Tibet », assimilée à la République populaire de Chine.
La protection de l’espace vital chinois passe par le Tibet, essentiel dans le maintien à distance des rivaux, notamment étasuniens et indiens. Le massif déploiement d’infrastructures et de troupes pour le sécuriser témoigne de la supériorité de Pékin dans ces espaces disputés. La rivalité sino-indienne s’inscrit dans une dynamique ancienne et multiple, mais c’est l’or bleu qui cristallise les tensions. Bordé par les plus hauts sommets et berceau des dix plus grands fleuves d’Asie, le Tibet est un réservoir d’eau. Véritable enjeu stratégique pour la Chine, il est un moyen d’assouvir ses ambitions.
Alors, loin d’une simple velléité impériale, le contrôle de cet espace revêt une importance stratégico-économique, car, selon la rédaction de l’École de guerre économique, « qui tient l’approvisionnement en eau tient le pouvoir ». Pékin l’a bien compris et en tire parti via la construction de nombreux barrages pour la production d’électricité et le contrôle de l’eau. Un monopole qui lui permet de faire peser une pression hydrique sur les pays en aval. Le barrage de Motuo, sur le Yarlung Tsangpo, illustre le contrôle chinois sur une immense ressource hydrique. Lancé ce 24 juillet, ce projet est estimé à 165 Mds $ et vise une capacité de 60 GW, s’imposant comme étant le plus puissant et le plus coûteux de l’histoire. Au-delà des enjeux écologiques, il crispe et impacte l’Inde et le Bangladesh, tributaires du fleuve.
Outil d’homogénéisation et de validation du récit national, la mainmise sur le Tibet revêt aussi une dimension identitaire, via une politique de sinisation, de surveillance, de répression et de « génocide culturel ».