Il suit les « houses », des familles de substitution où s’épanouissent des artistes drag et personnes queers. Plus qu’un simple témoignage, Paris is Burning documente un art de la transformation et une manière de défier les normes de genre, tout en capturant les tensions entre marginalité et aspiration à la reconnaissance.
Paris Is burning montre justement le drag comme un art à part entière, à la fois une identité et une performance politique. Si lors des concours, les catégories de déguisements sont parfois parodiques, elles visent surtout l’authenticité des performances, leur proximité avec le réel et la beauté de leurs gestes. C’est là que le principe même du milieu queer et drag se révèle : il s’agit bien d’interroger la construction culturelle du genre, la sexuation des corps et les codes liés la différence des genres à travers le déguisement et la performance. Dans cette perspective, Judith Budler souligue que « c’est en faisant proliférer les normes de genre qu’on leur fait perdre leur puissance normative et oppressive ».
Le film a permis de populariser des expressions et des codes qui feront ensuite leur chemin dans la culture du grand public, comme la danse du voguing, née dans les ballrooms qui s’est d’abord inspirée des poses de mannequins dans les magazines. Peu à peu, elle est devenue une réelle danse de contorsions, de gestes acérés et de jeux de mains aux ondulations fluides. D’abord cantonné aux bals et aux cabarets drag, le voguing s’est émancipé jusqu’à être emprunté par Madonna dans les années 1990-2000, et encore aujourd’hui dans les salles de la Gaîté Lyrique ou du Théâtre Chaillot. Des figures du film se sont fait remarquer dans l’industrie de la mode après la sortie du film, comme Wili Ninja, familier des bals d’Harlem et grand danseur, qui a collaboré avec Jean-Paul Gaultier.
Mais si le film sert de porte d’entrée vers l’univers des ballrooms, il pose aussi la question de la récupération de cette culture par le mainstream. Jennie Livingston a été critiquée pour avoir bénéficié du succès du film alors que plusieurs des protagonistes sont restés dans la précarité. Un paradoxe qui rappelle les dynamiques d’appropriation culturelle souvent dénoncées par la communauté queer et racisée. Malgré ces critiques, Paris Is Burning est resté une référence et un témoignage clé de l’histoire LGBTQ+ : sa puissance réside dans son honnêteté, montrant autant la joie que la précarité du milieu drag des années 1980-1990, où les fantasmes peuvent devenir réalité et où la liberté devient possible. Dès sa sortie, le film a été salué par le Grand Prix du jury au festival du film de Sundance aux États-Unis, en 1991. Son influence est visible dans des œuvres comme Priscilla, folle du désert (Stephan Elliott, 1994) ou l’émission RuPaul’s Drag Race, qui a contribué à ancrer le drag dans la culture populaire des années 2000-2010.