Taxer le sucre : nœud du conflit entre industrie, politique et consommateurs

Lutte contre l’obésité : l’arme fiscale est-elle efficace ?

Taxer le sucre : nœud du conflit entre industrie, politique et consommateurs

Lutte contre l’obésité : l’arme fiscale est-elle efficace ?

Le 29 octobre 2024, une proposition de loi visant à instaurer une taxe sur les boissons sucrées a été déposée par des députés du groupe MoDem, suscitant un vif débat au sein de l'Assemblée nationale. Cette initiative s'inscrit dans un contexte où la consommation excessive de sucre est devenue une préoccupation majeure de santé publique en France.

La consommation de sucre en France dépasse souvent les recommandations sanitaires. Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), environ 20 % des adultes et 25 % des adolescents de 13 à 17 ans consomment plus de 100 grammes de sucres totaux par jour, seuil au-delà duquel des risques pour la santé sont identifiés. 

Cette surconsommation est corrélée à une prévalence accrue de l’obésité, notamment chez les jeunes issus des milieux populaires. En classe de troisième, 7,5 % des enfants d’ouvriers sont considérés comme obèses, contre 2,7 % des enfants de cadres. 

La proposition de loi suggère une taxation progressive basée sur la teneur en sucre des boissons : les produits contenant moins de 3 kg de sucre par hectolitre ne seraient pas taxés, ceux contenant entre 5 et 8 kg seraient soumis à une taxe de 21 euros, et ceux dépassant 8 kg de sucre par hectolitre à une taxe de 28 euros. Ce modèle s’inspire de la « taxe soda » mise en place au Royaume-Uni, qui a conduit à une réduction significative de la consommation de sucre et à une diminution des maladies liées à sa surconsommation. 

La consommation excessive de sucre est un enjeu majeur de santé publique en France, contribuant à l’augmentation des maladies chroniques telles que le diabète de type 2 et l’obésité.

Cependant, cette initiative ne fait pas l’unanimité. Certains parlementaires estiment qu’une telle taxe pourrait exacerber les inégalités sociales, les produits sucrés étant majoritairement consommés par les classes populaires en raison de leur coût inférieur. Par exemple, l’obésité touche environ cinq fois plus les enfants d’ouvriers que ceux de cadres.  De plus, le gouvernement a décidé de ne pas soutenir l’amendement proposant une nouvelle taxe sur les produits sucrés transformés, préférant encourager les industriels à réduire volontairement la teneur en sucre de leurs produits. 

Parallèlement, la révision de la « taxe soda » existante a été adoptée, introduisant un barème plus strict pour inciter les entreprises à diminuer la teneur en sucre de leurs boissons. Instaurée depuis 2012 et réformée en 2018 pour introduire une plus grande progressivité, la « taxe soda » a généré 456 millions d’euros de recettes budgétaires en 2022. Cependant, plusieurs études ont conclu qu’elle avait peu d’effets sur les comportements des consommateurs et qu’elle n’avait pas suffisamment incité les industriels à réduire les teneurs en sucres de leurs produits, en partie à cause de sa complexité avec ses 16 paliers. Le nouveau barème vise à simplifier cette structure pour une efficacité accrue. 

Dates clésChiffres clés
29 octobre 2024 : Dépôt de la proposition de loi visant à instaurer une taxe sur les boissons sucrées.456 millions d’euros : Montant des recettes générées par la « taxe soda » en 2022. 
5 novembre 2024 : Le gouvernement décide de ne pas soutenir l’amendement proposant une nouvelle taxe sur les produits sucrés transformés.17,4 % : Taux d’obésité en France en 2024, en hausse par rapport à 8,5 % en 1997.
5 novembre 2024 : Adoption de la révision de la « taxe soda » existante, introduisant un barème plus strict pour inciter les entreprises à réduire la teneur en sucre de leurs boissons.20 % des adultes et 25 % des adolescents : Proportion de la population française dépassant la consommation recommandée de 100 g de sucres par jour.

Au-delà de la fiscalité, d’autres mesures sont envisagées pour lutter contre la surconsommation de sucre. Des campagnes de sensibilisation, notamment dans les écoles, sur les risques liés à une consommation excessive de sucre et sur le processus d’addiction qui commence dès le plus jeune âge, sont proposées. La distribution de chèques alimentaires réservés à l’achat de produits sains est également suggérée pour encourager des habitudes alimentaires plus équilibrées. Les recettes générées par les taxes existantes sont destinées à l’Assurance Maladie afin de financer ces initiatives de prévention et d’information.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l’utilisation de la fiscalité nutritionnelle comme outil pour lutter contre les maladies chroniques liées à une mauvaise alimentation, telles que le diabète de type 2, l’obésité ou l’hypertension. Plusieurs pays ont déjà mis en place des taxes similaires, principalement sur les boissons sucrées, avec des résultats encourageants en termes de santé publique.  En France, le débat sur la taxation des produits sucrés met en lumière les tensions entre les impératifs de santé publique et les préoccupations économiques et sociales. La nécessité de réduire la consommation de sucre est largement reconnue, mais les moyens d’y parvenir font l’objet de discussions intenses parmi les décideurs politiques et les parties prenantes de la société civile.

Un enjeu de santé publique et de justice sociale

L’instauration d’une taxe sur les boissons sucrées en France s’inscrit dans une dynamique mondiale où de nombreux pays ont déjà adopté des mesures similaires. Le Mexique, pionnier en la matière, a introduit une taxe en 2014, aboutissant à une baisse de 7,6 % de la consommation de sodas dès la première année. Au Royaume-Uni, où une taxe progressive est en place depuis 2018, plus de la moitié des industriels ont réduit la teneur en sucre de leurs produits avant même son entrée en vigueur, selon un rapport du Trésor britannique. Ces exemples démontrent qu’une politique fiscale bien conçue peut influencer les comportements des consommateurs et des fabricants.

Mais en France, la question des inégalités sociales reste au cœur du débat. Selon une étude de l’Observatoire des inégalités, les boissons sucrées et les aliments ultra-transformés sont plus consommés par les foyers aux revenus modestes, pour des raisons de prix et d’accessibilité. Une taxe supplémentaire pourrait donc, selon certains critiques, pénaliser davantage les populations les plus précaires sans offrir d’alternative viable. C’est pourquoi d’autres stratégies sont mises en avant. L’éducation alimentaire dès le plus jeune âge est perçue comme un levier clé : le gouvernement envisage d’introduire des modules obligatoires sur la nutrition dans les écoles primaires et secondaires. Des campagnes de prévention, inspirées de celles menées contre le tabac, pourraient également être renforcées, avec des messages d’alerte sur les dangers du sucre.

Les exemples du Mexique et du Royaume-Uni montrent qu’une fiscalité ciblée sur les boissons sucrées peut entraîner une diminution de la consommation.

L’État explore aussi l’idée des chèques alimentaires dédiés aux produits sains, destinés aux ménages modestes. Inspiré d’un programme existant aux États-Unis – le « Supplemental Nutrition Assistance Program » (SNAP) – ce dispositif permettrait aux bénéficiaires d’acheter des fruits, légumes et produits non transformés à moindre coût, afin d’équilibrer l’impact d’une fiscalité sur les produits sucrés. L’un des arguments en faveur de la taxation des boissons sucrées est son potentiel financier pour le système de santé. Les maladies liées à une consommation excessive de sucre, comme le diabète de type 2 et la NASH (stéato-hépatite non alcoolique), pèsent lourdement sur les comptes de l’Assurance Maladie.

Selon une estimation de la Cour des comptes, le coût des maladies chroniques liées à l’alimentation s’élève à près de 20 milliards d’euros par an. L’extension d’une taxe nutritionnelle permettrait non seulement de réduire ces coûts à long terme, mais aussi de financer des programmes de prévention et de recherche médicale.

L’industrie agroalimentaire ne cède rien

Une analyse de la Direction Générale du Trésor indique que la réforme de la « taxe soda » pourrait générer environ 600 millions d’euros de recettes annuelles, soit une augmentation de 30 % par rapport aux 456 millions d’euros de 2022. Ces fonds pourraient être directement réinjectés dans le système de soins, notamment pour le remboursement des consultations diététiques ou la mise en place de structures d’accompagnement à la transition alimentaire pour les publics vulnérables.

Face à ces perspectives, les industriels du secteur agroalimentaire restent farouchement opposés à une extension de la taxe sur les produits sucrés. La Fédération nationale des boissons rafraîchissantes (FNBRA) alerte sur un risque de perte de compétitivité et d’augmentation des prix pour les consommateurs.

Les coûts liés aux complications du diabète de type 2 représentent plus de 9 milliards d’euros par an pour l’Assurance Maladie, un chiffre en hausse constante ces dix dernières années.

Les producteurs mettent en avant un argument économique : une telle fiscalité pourrait entraîner une baisse de la demande, impactant l’emploi dans le secteur. Certains rappellent que la « taxe soda » en vigueur a déjà conduit certaines entreprises à réduire leur production ou à reformuler leurs produits en diminuant la teneur en sucre. Dans une tentative de compromis, plusieurs marques ont commencé à proposer des alternatives réduites en sucre ou enrichies en édulcorants, une approche qui, cependant, suscite un autre débat : celui de l’impact des édulcorants sur la santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a récemment mis en garde contre la consommation excessive d’édulcorants artificiels, soupçonnés d’avoir des effets indésirables sur le métabolisme.

Le gouvernement cherche donc une solution équilibrée : encourager les industriels à réduire les sucres tout en limitant les effets d’une taxation sur les consommateurs les plus vulnérables. Certains parlementaires proposent un dispositif d’accompagnement pour les entreprises agroalimentaires qui investiraient dans des recherches sur des formulations plus saines, afin de transformer progressivement le marché sans provoquer de chocs brutaux.

Crédit photo : Victor Velter ShutterStock

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